My Own Private Alaska
Amen (2010)
genre : Piano-core
10/10
I Am Recordings / Kertone Production


Séjourner quelques jours chez Ross Robinson pour enregistrer son premier album, ça laisse automatiquement des traces indélébiles, telles des tâches de sang sur les touches blanches d’un vieux piano tout poussiéreux. Après un remarquable premier EP autoproduit (réédité depuis par Division Records), My Own Private Alaska ne pouvait espérer mieux – et n’est-ce pas digne d’un rêve éveillé ? - que d’être contacté par celui qui a révélé au monde entier des avant-coureurs tels que Korn, Deftones ou encore Slipknot. Alors quand le producteur de Roots dit d’un groupe que ses membres sont « les précurseurs d’un son nouveau », on ne peut d’emblée qu’être mis en confiance.

Avec une façon de faire aussi atypique (un chanteur, un pianiste et un batteur) et une hardiesse aussi prononcée, il leur fallait bien un coach digne du projet pour canaliser toute cette énergie éparpillée en eux. Le destin fit donc que ce fut Ross Robinson qui les invita à traverser l’Atlantique pour mettre en boîte ce premier album. Lorsque l’on connaît l’EP, on sent d’office qu’un changement a opéré, surtout au travers des quatre titres figurant déjà sur celui-ci, et réenregistrés pour le coup. L’aspect écorché et brut des premières versions se voit dompté par des interprétations plus fouillées. L’euphorie tout azimut d’antan est dépoussiérée de la puberté innocente qui l’habitait et est remplacée ici par une sagesse excentrique, qui creuse encore plus profond dans chaque émoi de la musique du trio. Alors bien évidemment, on entend déjà les adeptes de la première heure s’exclamer que les versions originales sont bien meilleures, car sonnant bien plus naturel. Mais avec une production Robinson, un mixage Ryan Boesch et un mastering Alan Douches, on est inévitablement loin de l’aspect spontané d’une autoprod’ (comment faire autrement dans de telles conditions ?). Ces réinterprétations donnent l’impression d’une réécriture des morceaux, car la production est tout simplement colossale et envoie un souffle nouveau à chaque titre. Là où le chant était auparavant toujours hurlé et au bord de la rupture, il est ici plus affiné et maîtrisé, avec des nuances (chant clair, chuchotement, spoken words…) redynamisant les textes éraflés d’un chanteur en rédemption. La recette est identique aux nouveaux titres : déchirement vocal, accompagné d’envolées mélodiques, exécutées par un piano souvent feutré, parfois extravagant. La batterie quant à elle, est le système nerveux alimentant les battements du cœur de la musique de MOPA. Onze morceaux totalement cohérents, marqués à vie par l’entité du groupe. Même la reprise de “Where Did You Sleep Last Night ?” se voit totalement enchantée par la tragédie qui émane de cette formation hors norme.

Révélation, pareille à une authentique séance chez un psy, Robinson a su fouiner et remuer passions et déchirements animant chaque membre du groupe, dans l’optique de les mettre à vif afin d’en tirer la moindre particule de passion. En découlent fureur, douceur et ardeur emplies de sincérité, et surtout canalisées pour faire que chaque seconde d’Amen soit une pure merveille d’écriture, d’exécution et de diffusion d’émotions. Amen est irrémédiablement à mettre au panthéon des albums exceptionnels. Ceux qui vous touchent par leur limpidité, leur finesse et leur audace. My Own Private Alaska confirme ainsi ce qui s’était amorcé avec leur EP, et s’impose comme le guide spirituel d’un genre nouveau, dont de nombreux fidèles suivront le chemin aveuglément, mais n’en atteindront jamais le charisme. Ainsi soit-il. Amen.

Site : http://www.myspace.com/myownprivatealaska

Gaet’