FREAK KITCHEN

 

 

Entretien avec Mattias IA Eklundh - par Geoffrey et Julien
 
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En France, vous êtes comme un OVNI : beaucoup de gens vous connaissent mais peu ont déjà entendu un seul morceau. Qu'attends-tu de ce nouveau contrat ? Je suis putain de content que le Freakatalogue soit enfin distribué en France à un prix raisonnable. Auparavant, il fallait se procurer les albums en imports du Japon à un prix exorbitant. C'est une honte de devoir payer plus de 200FF pour un album ! Je suis très content de ce nouveau pressage et de travailler avec NTS et Olivier. On a déjà refusé beaucoup de contrats, mais avec eux on a trouvé le bon compromis entre fans et professionnels. C'est le moment pour Freak Kitchen d'arriver en France.

Pourquoi ce contrat arrive-t-il si tardivement avec autant d'albums à succès ? J'en sais rien, il y a un temps pour tout. Beaucoup de personnes me demandent si j'en étais frustré. Mais nous avons construit ce groupe petit à petit, album après album, concert après concert, sans se presser. Il y a un noyau dur de fans, les Kitchen Freaks, ne désirant qu'une seule chose, nous foutre sur scène. Mais à quoi bon si rien n'est distribué de façon décente ici ?

Quand tu as quitté Fate pour fonder ton propre groupe, savais-tu exactement ce qu'allait être Freak Kitchen ? Hé bien, pas vraiment… Tu apprends au fil des années, de plus en plus, la façon dont tu veux sonner. Freak Kitchen a toujours été un groupe qui a voulu prendre des risques. On a exactement tout ce que l'on veut. Aucune maison de disques ne nous dirige, on a un contrôle total sur notre musique. C'est à la fois effrayant et une bonne chose de faire ce que tu veux. C'est très important pour nous d'essayer à chaque nouvel album de nouvelles choses. Appetizer notre premier album a vraiment jeté les bases. Chaque album est vraiment différent du précédent. C'est toujours le même groupe mais nous essayons d'évoluer vers des directions différentes tout en gardant l'esprit Freak Kitchen. On ne va pas faire comme tous ces groupes qui font encore et toujours la même chose au fil des années…

De quoi parlent vos morceaux ? De tout ! Oh mon Dieu… (rires) On parle vraiment de tout dans nos morceaux. J'adore le réalisateur canadien David Cronenberg. On a écrit une de nos chansons sur un de ses films où les médias sont ceux qui vous disent comment vous devez être… J'écris vraiment sur tout. Je crois qu'il n'y a aucun sujet sur lequel on ne puisse pas écrire. Tout ce qui me passe à l'esprit.

On va donc évoquer la carrière du groupe album par album en quelques mots, ou en plus… (rires) J'ai un problème : j'ai un haut débit de paroles ! Je n'arrive pas à me limiter (rires) ! Tu n'as qu'a me dire de la fermer quand tu en as assez et me dire de rentrer chez moi ! (rires)

Le premier album : Appetizer. Le succès arrive tout de suite notamment dans la presse où l'album est décrit comme le meilleur premier album réalisé par un groupe suédois. C'était très amusant de l'enregistrer. Nous avons essayé de le faire aussi bon que possible. Nous avons sué sang et eau. Les choses auraient pu être différentes si on les avait faites aujourd'hui, mais à l'époque nous avions fait du mieux que l'on a pu. L'album a reçu plusieurs prix dont celui de l'album heavy metal. C'est assez drôle car on est de la côte ouest de la Suède, de Göteborg - Stockholm est sur la côte est. La plupart des groupes nominés venaient de Stockholm. On s'était donc dit que l'on ne gagnerait jamais ce prix. Ensuite on a fait beaucoup de shows dans de nombreux festivals. Tout est allé pour le mieux.

Spanking Hours. La légende veut que l'album ait été principalement composé sur la route. En 1995, nous sommes partis sur une grosse tournée en Allemagne. C'est pendant cette période que nous avons composé des morceaux comme Jerk ou Burning Bridges qui parle du climat étrange que nous avons subi. Un jour on était en T-Shirt et short et le lendemain c'était la tempête de neige. On se demandait : " Qu'est-ce qu'on a fait à Mère Nature pour qu'elle veuille foutre en l'air ce groupe ? " (rires) Jerk est sur notre ancien manager pourri. De là je suis parti pour la première fois au Japon pour la promo : beaucoup d'interviews, de passages TV, c'est là que j'ai rencontré le luthier de ma guitare Apple Horn. En résumé, je suis content de cette période !

Puis l'album éponyme considéré comme de la pop venant de l'Enfer. (Rires) C'est un terme qui le décrit parfaitement. C'est un album de pop joué par des musiciens de heavy metal. Les fans ont été un peu désorientés quand il est sorti car Spanking Hours et Appetizer étaient dans la même veine avec guitares saturées et rock n’roll basique qui bouge. Mais quand il est sorti, les gens se sont demandés : " Qu'est-ce que c'est ? Que sont-ils en train de faire ? Est-ce toujours le même groupe ? " On est assez fiers de cela parce qu'on aime prendre des risques. Les gens attendaient un Spanking Hours 2 ou un Appetizer 3. Mais maintenant, quelques 2 ans et demi ou 3 ans après sa sortie, il se vend toujours bien. C'est assez marrant car certains morceaux sont utilisés lors du Super Bowl japonais. Les gens crient “jouez My New Haircut, jouez My New Haircut”. Je pense que les gens sont plus enclins maintenant qu'à l'époque à l'écouter.

Et c'est aussi la première apparition de la vache comme mascotte. Quand Joakim [co-fondateur et batteur du groupe] habitait Los Angeles et moi à Copenhague, on correspondait et sur ses enveloppes ou ses cartes, il dessinait toujours ces étranges vaches. Déjà pour Appetizer, je lui avais demandé de dessiner différentes vaches pour illustrer chaque morceau et il a dit " OK ! " [Mattias prend la voix d'Omer Simpson] (rires). Et il l'a fait et c'est devenu un symbole pour le groupe. On aime les animaux mais nous n'avons pas de passion démesurée pour les vaches. C'est juste un bon symbole comme pour " Batman ! " [en chantant le générique de la série des 60's] (rires) Joakim continue de dessiner des vaches aujourd'hui pour payer ses factures et sa maison. C'est un super symbole !

Et enfin le petit nouveau Dead Soul Men... C'est probablement notre album le plus heavy. Il est très énergique, j'en suis très fier. Spécialement Gun God. Je pense que Gun God est vraiment barré dans tous les sens du terme. Le refrain est la partie la plus calme de la chanson. Il y a des morceaux comme Everything Is Under Control qui sont très heavy et des morceaux plus étranges comme Ugly Side Of Me. Mais sur scène tout est vraiment heavy, y compris les morceaux pop from hell. Il me tarde de venir les jouer en France.

Une question plus triste. En décembre dernier Joakim et Christian ont quitté le groupe. Pourquoi ? Pour des raisons personnelles. Joakim en avait marre de tourner. C'est très difficile d'être en tournée loin de chez soi. Il faut respecter cela car il l'a fait pendant neuf ans. Christian quant à lui a eu un nouvel enfant. Toujours est-il qu'ils m'ont toujours encouragé à continuer. Nous sommes toujours les meilleurs amis du monde. Je me suis demandé si je devais arrêter et comment j'allais survivre à cela. Et puis au bout de deux jours, je me suis dit "Fuck it ! Je refuse d'arrêter ! Ce n'est pas ma décision !" Je dois avoir le contrôle de ma propre vie. Et je suis très fier d'avoir deux nouveaux membres. Je me suis toujours dit que si un membre quittait le groupe on arrêtait tout, mais après quelques shows ensemble où cela s'est très bien passé je ne regrette pas ma décision. Ils apportent une nouvelle dimension au groupe. Christian était chanteur dans un autre groupe et a certainement une bien meilleure voix que moi. Je suis très fier de cette nouvelle formation.

Quelle genre de drogue prends-tu avant de composer ? Seulement du café bien fort (rires) et quelques promenades dans les bois avec mon chien…

Quand les gens connaissent Freak Kitchen, ça les étonne de savoir que tu as sorti un CD solo puisque que tu es le compositeur principal du groupe. Pourquoi avoir voulu le faire ? Hé bien, la différence principale est que Freak Guitar est instrumental en grande partie. Tu sais, j'ai tant d'idées musicales. Je suis une personne très active. J'ai besoin de faire beaucoup-beaucoup-beaucoup de choses. Je possède mon propre studio. Je n'ai donc pas de limitation de temps, pas de trou du cul de producteur me disant de me dépêcher pour coller au planning. L'enregistrement de Freak Guitar s'est étalé sur une longue période. Quand j'étais inspiré je n'avais qu'à allumer l'ordinateur, le Laney et jouer. J'ai ainsi 21 ou 22 morceaux. Je suis en lutte permanente contre le temps, je n'ai jamais assez de temps. Si j'avais le temps, je prendrais 5 ans pour m'asseoir et enregistrer tout ce que j'ai en tête. J'ai déjà une trentaine de cassettes de 90 minutes venant de l'époque où j'avais un 4-pistes. Ce sont des chansons n'attendant qu'à être enregistrées. Freak Guitar n'est que la partie émergée de l'iceberg.

J'ai entendu dire que Freak Guitar a été enregistré dans ta salle de bain. C'est vrai ? Oui ! Maintenant j'habite dans une jolie maison dans les bois, mais avant je vivais dans le centre de Göteborg, dans un petit appartement. J'avais un policier pour voisin. Et ses assiettes bougeaient quand je poussais le Laney - qui est un assez gros ampli. Je lui disais donc "Klaus (c'était son nom), quitte ta cuisine, je vais enregistrer". Cela ne m'a pas coûté grand chose pour l'enregistrer, mais il se vend à 10.000 copies rien qu'au Japon. J'ai pu me construire une maison avec l'argent. C'est ridicule quand on sait ce que cela m'a coûté !

Il y a beaucoup de surprises dans ton CD, à commencer par les reprises de La Bamba, Detroit Rock City ou The Black Page de Frank Zappa. D'où te viennent tes idées ? J'enregistre beaucoup, on recommence, beaucoup-beaucoup-beaucoup de choses sans avoir l'intention de les sortir. Je les fais juste écouter à quelques amis qui me disent que je devrais les sortir. C'est mon grand-père qui a plein de disques de guitare gypsy et j'ai eu l'idée de reprendre Detroit comme cela. Les vrais fans de Kiss reconnaîtront la chanson. J'ai vu La Bamba, le film, beaucoup-beaucoup-beaucoup d'années après tout le monde. Et je me suis rendu compte que j'adorais ces 3 accords La, Sol et La. Cette chanson me rend vraiment heureux. Mes amis me disaient, tu ne vas quand même pas reprendre cette chanson de merde. Pourquoi ?! J'ai pris ma guitare et je l'ai fait. Par la suite, j'ai reçu un mail de Steve Vai qui me disait que ses enfants étaient dingues de ce morceau, qu'ils sautaient de partout dans leurs chambres. La télévision suédoise l'utilise pour ses programmes. Je suis heureux d'avoir réussi à rendre un morceau de guitare instrumental populaire. Ça change des autres guitar-heroes qui sont démonstratifs et qui nous donnent envie de les flinguer ! Je suis une personne stupide mais je suis heureux que certaines personnes aiment ce que je fais. Je reçois des lettres d'enfants de 6 ans qui font de la gym à l'école et au lieu d'utiliser Britney Spears, ils dansent sur When Sam Played Again. (rires) J'en suis content ! C'est fabuleux tant que ce n'est pas du Britney Spears ou du Phil Collins ! C'est impressionnant.

Frank Zappa est-il vraiment une grande influence pour toi ? Oui ! C'est une influence majeure pour moi. J'ai vu pour la première fois Kiss quand j'étais un gamin. Et je suis allé à mon premier concert de Frank Zappa à 10 ou 11 ans et ça a changé ma vie pour toujours. Oui, c'est une grande influence. Tous les jours, je me plante devant ma collection de disques et je me demande quel sera le Frank Zappa du jour ? Je dois tous les avoir.

As-tu un album préféré ? Tous les 70 !

Non, il y a 96 CDs ! [Frank Zappa en a sorti 70 de son vivant et son fils Dweezil continue à sortir des disques à partir des bandes inutilisées]. J'ai perdu le compte !

A propos d'autres guitaristes, tu es considéré comme un maître et un grand compositeur par tes pairs. Qu'est-ce que ça fait d'être autant aimé ? Je suis profondément flatté, c'est génial ! On aimera toujours la bonne écriture. Je pense que c'est ce qu'il y a de plus important. J'essaie de l'intégrer dans la musique instrumentale. Je suis honoré qu'autant de personnes pensent cela de moi. Je vais essayer de faire la même chose pour le reste de ma vie en restant fidèle à mes objectifs. C'est pourquoi je suis né (rires) !

N'as-tu pas peur que l'on te considère comme un guitariste shredder ? Tu ne peux pas te battre toute ta vie pour essayer de convaincre les gens de ce que tu es. Fais juste ce que tu as envie de faire. Je m'en fous que les gens me dénigrent. 99,9% de mon temps passe dans l'écriture, l'arrangement, la production. Il me faut environ 4 mois pour enregistrer un album de Freak Kitchen et je ne m'accorde que 3 ou 4 jours pour les solos de guitares. Donc je m'en fous si on me juge sur ça, ça me fait plutôt rire.

D'un autre côté ça ne te gêne pas que des gens ne t'apprécient que pour ta technique et pas pour ta musique ? Ben, je m'en fiche, ça ne me rend pas triste. Si certains aiment les solos qui vont vite, ce n'est pas grave car plein d'autres qui n'ont rien à voir avec la guitare sautent dans tous les sens et s'éclatent ! Nous avons un public très étrange des gamins de 5 ans avec des pantalons Adidas et des Tshirts Puff Daddy, mais aussi des psychiatres de 60 ans. Nous ne sommes pas le groupe de heavy metal typique. Je pense que nous avons tellement d'influences dans pleins de styles différents que tout le monde peut y trouver son compte.

Penses-tu un jour sortir un nouvel album solo ? Oui, j'ai envie de sortir des tonnes et des tonnes de choses. Je suis en train de finir une chanson pour le tribute à Jason Becker. Il faut toujours que j'écrive de la musique originale comme je l'ai fait pour le tribute à Yngwie Malmsteen, sinon je massacre leurs chansons. Je suis fier d'être au milieu de tant de grands noms de la guitare tels Marty Friedman, Steve Morse… ça prend beaucoup de temps d'écrire, je suis toujours sur la route. Peut-être dans un an ou un an et demi, il y aura un nouveau Freak Guitar. On verra, mais ne t'en fais pas, je reviendrai comme une douleur dans le cul !