logo


A.A Nemtheanga est un vrai personnage sur notre scène metal. Irlandais, bourru, fin limier de l’humour noir, il est aussi un compositeur de génie, et le dernier album en date de son groupe, To The Nameless Dead, est un des albums phare de l'année qui vient de s'écouler. Après un début difficile, le développement de cette interview a permis de mieux faire connaissance avec ce grand monsieur.

Interview à paraître également  dans le Metal Observer FNAC n°15 de Janv. 2008


Entretien avec A.A. Nemtheanga (vocals), par Geoffrey
Rechercher : dans l'interview

The Gathering Wilderness a été un gros succès, cela a-t-il changé des choses pour le groupe ?
A-t-il été un gros succès ? Je ne sais pas… Tu sais, tu peux vraiment diviser l’histoire de Primordial en différents chapitres. On peut regrouper notre démo de 1993 et notre premier album. Tu peux mettre notre deuxième album, Journey’s End, comme deuxième chapitre. Spirit Of The Flame et Storm Before Calm  comme un troisième, et enfin The Gathering Wilderness, qui se complète à ce nouveau disque comme un autre chapitre. Signer avec Metal Blade a vraiment fait la différence, nous amenant à un niveau supérieur, dans la promo et la distribution. Mais au final, rien n’a vraiment changé pour nous depuis 1991, on s’enferme toujours dans une salle crasseuse et enfumée pour répéter. Alors bien sûr, peut-être parce que nous vivons assez loin les uns des autres, nous ne nous sommes jamais vraiment sociabilisé en tant que groupe. Il n’y a pas d’échange de mp3, de chat sur Internet, de répète par Internet… On ne fait pas ça.

Comment vois-tu l’évolution du groupe à travers les années ?
J’ai beaucoup grandi  en tant que personne. J’ai formé le groupe à l’âge de 16 ans, j’en ai 32 maintenant, si je n’avais pas évolué, j’aurais de gros problèmes mentaux en en ce moment. Tu t’améliores en tant que musicien, tu façonnes ta vie, mais le plus important, c’est que nous avons gardé la même énergie qu’au début du groupe, aussi forte et intacte. On ne donne pas dans la complaisance, nous savons que rien n’est jamais acquis d’avance. On ne fait jamais de compromis, on ne laisse jamais quelqu’un nous dire comment nous devrions sonner. Ne jamais copier les autres et se fonder son propre style. C’est comme ça que nous étions en 1992, et nous le sommes toujours en 2007.

Tu te mets un peu de pression avant de composer, maintenant que les oreilles sont beaucoup plus tournées vers vous ?
Oui et non. Mais surtout non (rire). Il y a toujours un peu de pression, surtout lors des premiers mois de répète, quand rien ne sonne vraiment bien, avec les tensions et les engueulades qui vont avec. Mais comme toujours, lentement, mais sûrement, les morceaux commencent à sonner comme du Primordial. Mais je pense que les gens qui aiment ce groupe nous font confiance et ne le laisseront pas tomber. Parce que nous ne gagnons pas d’argent avec ce groupe. Nous ne sommes donc pas obligés de faire des albums, nous ne sommes pas obligés de faire des tournées. Nous ne le faisons que quand nous sommes prêts, on ne se presse jamais de toute façon. Donc les gens savent que tous les deux-trois ans, ils vont avoir de la qualité, pas de la quantité.

pix

De toute façon, tu n’as jamais fait de la musique pour devenir connu…
Nan, Primordial sonnera toujours le même que nous vendions 10.000 ou 100.000 copies de notre disque. Bon, personnellement, je préférerais vendre 100.000 disques, car cela nous permettrait de jouer dans des pays où nous ne sommes jamais allés, de jouer plus longtemps dans les fests… Mais bon, certains groupes ne pourront jamais dépasser le stade de la salle de répète, sans jamais pouvoir se produire sur scène. Donc en remettant les choses dans leur contexte, on ne s’en sort pas trop mal. Comme tu l’as dit, nous n’avons jamais fait ce groupe pour devenir connus. Quand nous avons commencé le groupe au début des années 90’, l’Irlande ressemblait au tiers-monde : beaucoup de pauvreté, de personnes sans emploi. Un pays très dur à vivre. Nous, on était des metalleux, et on voulait fonder un groupe et se battre contre ça et s’en échapper. Nous ne sommes pas nés avec une cuillère en or dans la bouche. Nous n’avons pas fondé un groupe parce que l’un d’entre nous avait eu une guitare à Noël. Nous avons juste marié notre culture à celle de notre pays, assez naturellement. Et c’est toujours le cas aujourd’hui.

Et comment est la situation maintenant en Irlande ?
On sort à peine de 50 ans de capitalisme cupide. Mais nous n’avons toujours pas de sécurité sociale, de routes convenables, d’hôpitaux. Tout l’argent engendré a juste permis à certains de se payer des séances d’UV et de la cocaïne (rire). Pas à tout le monde bien sûr. On a toute une génération de porcs capitalistes qui ne se souviennent pas d’où ils viennent, qui ne respectent pas d’où ils viennent ou l’histoire de leur pays, qui ne vivent que par les fast-food, la culture MTV et ne veulent se taper que des célébrités.

Tu aimes faire des interviews et parler de ta musique ?
Parfois. Généralement, les pires questions viennent des Etats-Unis. Ce sont toujours les mêmes. Du style «raconte-moi l’histoire du groupe». Merde, ils n’ont qu’à aller sur Internet et faire des recherches. Mais je comprends que parler aux médias est un mal nécessaire. Mais bon, je sais que j’ai de la chance dans le groupe a être le seul à savoir articuler et dire des choses sensées (rire). En plus, nos paroles parlent de choses vraies, il n’y a rien de fantastique. Donc il faut bien en parler un peu quand même. Et je ne vais pas te faire perdre ton temps à parler de choses qui ne veulent rien dire.

L’une des forces de votre musique, et encore plus sur ce nouveau disque, est qu’elle transmet de nombreuses émotions, qu’elles soient joyeuses ou sombres... Que veux-tu atteindre quand tu composes ?
Nous sommes des artistes. Nous ne sommes pas là pour divertir. C’est la différence. Et l’un des buts de l’art, est de créer un lien émotionnel entre ceux qui créent la musique et ceux qui la reçoivent. Les faire avancer, les tester, leur faire ressentir des choses pour ce que tu as créé. Primordial ne pourra jamais être sur autre chose, nous sommes tellement liés à nos terres, notre héritage, notre culture. Notre façon d’être Irlandais, et ma façon de voir le monde. Notre but est d‘emmener les gens dans un voyage émotionnel et de les tester, vraiment. Tu peux prendre un album de death metal et l’aimer pour sa brutalité, ses riffs. Mais ça ne va pas te faire avancer sur un plan personnel. Mais attention, chacun a le droit de faire ce qu’il veut, je ne demande pas à tout le monde de faire comme nous, je ne suis pas si fermé.

Mais l’un des problèmes aujourd’hui, c’est que beaucoup de groupes voient la musique comme un divertissement, rien de plus.
Mais il faut bien de la merde pour faire ressortir les bonnes choses. Mais soyons honnête, le heavy metal a toujours été porté par des thèmes sur la fuite et les rebellions adolescentes. Je parle pour les groupes de maintenant, car dans les années 70’s ou 80’s, ces thèmes étaient dictés par une certaine naïveté. Aujourd’hui, tout semble contrôlé et faux, dicté par des critères commerciaux. Moi, les groupes grand public ne m’intéressent pas. Je ne reste que dans l’underground. En France, vous avez Deathspell Omega. Merci Deathspell Omega. Vous avez des groupes comme Antheus, Arkhon Infaustus... Heureusement que pour chaque Arch Enemy, il y a un Deathspell Omega. Je n’aime pas les groupes mainstream, car ils sont à l’opposé de ce que le metal est à la base.

pix
Mais penses-tu que la musique ait encore du poids dans notre monde moderne pour changer les choses ?
C’est difficile à dire. Cela a changé... Peut-être à cause du monde dans lequel nous vivons, où l’information se diffuse en quelques secondes... Et quand on voit comment les célébrités s’approprient des évènements graves, comme le Darfour, c’est un bel exemple de cette culture pop fast-food. Et aujourd’hui, nous sommes tellement cupides et tournés sur nous-mêmes que nous ne sommes plus capables d’être touchés par des choses comme la musique alors que nous devrions. La musique a fait bouger des générations entières dans les années 60 et 70. La musique représentait la rébellion à l’époque. Tout n’est régi que par les lois du marché maintenant. Il y a encore des gens qui cherchent une musique intelligente, qui fasse grandir en tant qu’être humain.

Pour recentrer sur ton pays, tu penses qu’une chanson comme Sunday Bloody Sunday de U2 a changé des choses ou était-ce juste du divertissement ?
Oui. U2 est bien plus que cela. Il faut remettre le groupe dans un contexte où l’Irlande des années 80 comptait 70% de chômeurs, il n’y avait pas d’argent. Et U2 est le plus gros truc sorti du pays à cette période. Et qu’on les aime ou pas, c’est un groupe dont nous sommes très fiers. Et surtout, ils ne chantaient pas une musique pop mielleuse. Ils parlaient du vrai monde. Je n’aime plus trop ce qu’ils font maintenant, mais il faut reconnaître la qualité de leur travail dans les années 80 et le début des années 90. Une époque où l’on pouvait être grand public et être un bon groupe. Il faut bien comprendre la fierté que nous avons envers ce groupe, car c’est la meilleure chose sortie de ce pays.

Et comment est la situation pour vous ?
C’est plus complexe. Si l’Angleterre est le 53ème Etat américain, l’Irlande est le 54ème. On est coincé entre l’Angleterre et les Etats-Unis. Quand dans les années 94-95, la presse a dit que le metal était mort, les gens y ont cru, et ne venaient plus aux concerts. Maintenant, il y a toute une nouvelle génération qui se fout de savoir si tu es underground ou non.  Mais bon, on ne fait jamais vraiment de tournées chez nous, on ne vend pas beaucoup, on ne parle pas de nous dans les magazines, on ne passe pas en radio. Mais c’est quand même mieux qu’il y a dix ans.

Ça ne te fait pas bizarre d’être plus connu en dehors de chez toi que dans ton propre pays ?
Non, pas vraiment. On n’y pense pas trop.

Mais tu parles quand même tout le temps d’Irlande dans ta musique…
C’est vrai. Mais tu sais, les fans de Slayer, Megadeth ou Metallica ne nous connaissent toujours pas, on a commencé à entendre parler de nous il y a trois ans. On est encore un groupe underground. Même les promoteurs ici ne nous font pas jouer en première partie de ces groupes. Le plus gros show que nous ayons pu faire ici était devant un millier de personnes en première partie d’Opeth. Et encore, le promoteur était un ami. Un promoteur plus gros, tu peux oublier. Ça n’intéresse personne d’aider. Un truc tout bête qui résume assez bien tout ça. Chez nous, nous avons un ministre pour l’art et le tourisme. Pas un pour l’art. Un pour les deux. Mais bon, nous jouons quand même dans plein de petits clubs en Irlande (rire). C’est déjà ça.


Primordial – To The Nameless Dead
Metal Blade Records

Site : www.myspace.com/fallentoruin