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Oh oui, c’est facile de se moquer. Car oui, si Misanthrope est l’un des groupes français les plus établis, c’est aussi l’un des plus décriés. Certainement rebutés par les thèmes et l’imagerie du groupe, certains aiment à faire polémique à chaque sortie. «Le chant ceci, la guitare cela...» ! Toujours est-il que Misanthrope est toujours là, bien vivant, et vient juste de nous sortir son meilleur album à ce jour. 

Interview à paraître également  dans le Metal Observer FNAC n°17 de Mars 2008

 Entretien avec SAS de L'Argilière, par Geoffrey
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On peut revenir sur l’album précédent, Metal Hurlant ? Avec le recul, comment tu le juges ?
Je suis très content de Metal Hurlant, c’est la plus grosse œuvre qu’on a enregistrée, 83 minutes de musique inédite. C’est pour ça qu’on en a fait un concept album. C’est vraiment l’aboutissement de ce qu’on avait commencé avec Misanthrope Immortel et Sadistic Sex Daemon. Chaque morceau a un thème bien défini, ça représente vraiment tout le spectre de Misanthrope. Ça parle de sexe, de politique, de littérature, de philosophie, de religion, d’histoire de la France, ça reprend tous les thèmes qui font Misanthrope. Le disque est bien joué, bien chanté. Je pense qu’il y a aussi un petit retour au chant plaintif qu’on ne voyait plus dans Immortel et Sadistic Sex. Ça a vraiment préparé le terrain pour IrréméDiable. C’est le deuxième album que l’on faisait avec Gaël et Anthony donc on commençait à voir le fruit de cette évolution musicale. C’est un album vachement mature puis on a enregistré quasiment intégralement en studio ; c’était une grande première à ce niveau-là donc plein de choses intéressantes. Oui, vraiment, super content.

Puis un line-up enfin stable !
Je ne vais pas dire enfin parce que ça fait très longtemps qu’on est ensemble, Gaël est dans Misanthrope depuis plus longtemps que Jean-Baptiste par exemple donc Metal Hurlant, c’était les fruits de ce qu’on espérait qu’il allait se passer, c’était un tremplin, il fallait vraiment faire quelque chose de différent. On ne pouvait pas encore faire 12 nouvelles chansons avec le même thème, toujours le même esprit d’album. Il fallait vraiment trouver quelque chose de novateur pour le nouvel album de Misanthrope. On s’était dit ça avec Jean-Jacques : on va commencer à tourner en rond et Misanthrope, c’est tout sauf tourner en rond, c’est vraiment essayer d’avancer dans la création artistique au niveau du métal extrême et c’est ce qui nous botte. C’est plus qu’un tremplin. Je pense que Metal Hurlant était vraiment un aboutissement : un album varié avec plein de thèmes, plein d’ambiances, y a un morceau sur l’esclavage, y a beaucoup de choses.

Vous aviez dès le départ envie de faire un concept album ?
Oui voilà, dès le départ, on voulait trancher dans notre carrière. C’était primordial. Comme je viens de le dire, il fallait qu’on arrête de proposer ce qu’on propose depuis une quinzaine d’années, on voulait quelque chose de différent, de plus construit et on a eu cette idée de proposer une œuvre culturelle francophone dans le métal extrême, à savoir la vie et l’œuvre de Charles Baudelaire à travers les yeux de Misanthrope. On est donc parti sur cette charnière-là, faire un disque qui s’écoute d’une traîte, bien séparé en 15 chansons. Du coup,  ça a été vraiment très compliqué à élaborer, de faire la vie sur 12 chansons et l’œuvre de Baudelaire sur 3 chansons, sur trois thèmes favoris : « Plaisirs Saphiques » qui sont les lesbiennes, la litanie de Satan qui est « Névrose » et « Fantasia Artificielle » qui reprend l’alchimie des vins et du haschich. Ca finit par « L’Oracle de la Déchéance », c’est la mort de Charles et le dernier, c’est ce qui reste de lui après sa mort. Il y a la récitation d’une de ces œuvres, qui est mise en musique par Boitel et récitée par moi.

Et quelles sont les difficultés d’un tel projet ?
C’est multiple. Ce n’est pas comme faire un disque où tu composes une quelconque chanson que tu t’éclates à répéter avec tes amis musiciens, pour laquelle tu t’éclates à écrire des paroles. Dans ce cas, cette chanson est unique et dure trois ou cinq minutes ; c’est intense et rapide. Là, c’était un exercice de style périlleux : il a fallu proposer 1H10 de musique par rapport à des fragments de textes que j’avais commencés a écrire, pour bien expliquer aux autres membres du groupe que là, c’est la tempête ou c’est son voyage en mer, que là, c’est le passage du dandy où il est dans les rues de Paris et il va faire tous les excès possibles. Là, c’est une chanson sur sa mort, là son enfance, là la situation de la France entre 1793 et la naissance de Charles… On a composé un peu de musique et j’ai fait un schéma en écrivant chaque chanson, ce que ça ferait au niveau des textes. Il fallait s’inspirer de ça.

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Un travail plus difficile, plus long et laborieux donc…
Laborieux surtout parce que tu marches sur des œufs, parce que pour faire un concept album sur la vie et l’œuvre de Charles Baudelaire, il faut énormément se documenter. C’est très rigide parce que faire une création artistique sur une vie vécue dans le passé, il y a 150 ans, ça ne se fait pas tout seul, tu ne peux pas inventer. Même si tu fais de la création artistique, il faut que ça reste dans un cadre défini. On n’avait jamais fait ça on s’est forcé à se donner une tâche très difficile avec tous les inconvénients que ça comporte comme les remises en question, les retards… Le problème, c’est qu’avec Baudelaire, quand tu plonges dedans, tu ne sais pas quand tu vas en ressortir. Je suis rentré dans le personnage, dans la vie de cet homme et finalement, ça m’a énormément bouleversé, ça m’a touché : j’ai ressenti beaucoup de choses à mon niveau, des sortes de ressemblances avec mon enfance, ma jeunesse, la réaction des gens aussi par rapport à lui et à moi. En tant qu’artiste / auteur / compositeur, il était détesté par une grande partie des gens de son époque.  Je pense que Misanthrope, c’est un peu pareil.

Tu as commencé à me répondre ! Justement, je n’allais pas te demander « pourquoi Baudelaire » ou ce qui te parle vraiment dans l’œuvre de Baudelaire… Est-ce qu’il y a d’autres éléments aussi ?
Enormément de choses ! De toute façon, je pense que pour tout fan de métal, tout est dans Charles Baudelaire : c’est la recherche de l’extrémisme, du dépassement de toutes les limites,  que ce soit dans le sexe, la drogue, l’illimité de l’argent, la prodigalité de vivre aux crochets d’une société. Par contre, d’un autre côté, le travail absolu du mot, la justesse, l’œuvre est immense, elle est riche et elle n’est toujours pas égalée 150 ans après… Il n’y aura jamais mieux. Ca correspond bien à la scène metal : tous les thèmes sont repris dans l’extrémisme black ou gothique, comme la tristesse, la mélancolie, le satanisme, le sexe, l’érotisme et il y a d’autres choses dont je n’ai pas parlées, que je n’ai pas exploitées comme le voyage, la beauté car en réalité, il est impossible de parler de Charles Baudelaire en 15 chansons !

Est-ce que maintenant que l’album est sorti, tu t’es détaché du personnage ?
Enfin, oui. Je ne me suis pas mis volontairement dans le personnage, je me suis fais absorber par ce que j’ai essayé de comprendre et essayé d’entrevoir de son œuvre. Je me suis fait carrément absorber, happer par ce personnage fantastique, c’est plus qu’un héros. Le problème, c’est quand tu touches la vérité du bout des doigts sur le plan mystique ! Moi, j’ai presque une relation divine avec l’écriture de Charles Baudelaire, c’est tout. Il ya certaines personnes, leur écrit saint, c’est la Bible ou la Thora, nous, c’était « Les Fleurs Du Mal ». Mais pour répondre à ta question, oui, ça va mieux.

Une des choses les plus impressionnantes aussi, c’est la façon dont la musique accompagne les textes. Comment ça a été abordé ?
C’est de la magie, c’est le talent des musiciens et des compositeurs, c’est venu naturellement et y a des choses qui se sont faites toutes seules. J’avais Jean-Jacques Moréac et Fernando Pereira Lopes qui m’ont drivé au niveau du chant. C’est moi qui chante mais je ne suis pas le responsable des lignes vocales sur cet album de Misanthrope, enfin pas toutes… On travaille en groupe. C’est ça, c’est l’ossature. On avait un texte et un morceau et on en a fait un super truc, on a fait ressentir la musique en réadaptant les paroles. Comme quoi, tout est faisable, des morceaux ont été composés dans ce sens, on raconte ce passage de la vie de Charles Baudelaire, on transcrit ça en musique et vice et versa. On a alors un morceau terrible en musique, c’est le passage de sa vie qu’on va adapter a la musique, il y a les deux. Mais ça s’est fait relativement naturellement. Le plus dur, c’est ça : quand le texte est écrit et qu’il faut le réadapter. Ensuite vient le placement du chant, pour que ce soit narratif ou hard rock, c’est ça qui est intéressant. Le truc est de rester fidèle à la vie de Charles Baudelaire en faisant une création artistique inédite, c’est ce qu’il y a de plus compliqué finalement.

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Tu parlais de Fernando, l’album d’avant était fait au home studio par Jean-Jacques et là vous avez changé, à Paris, pourquoi ? Vous donner les moyens par rapport à cet album ambitieux ?
Non. D’abord, c’est une rencontre avec Fernando Pereira Lopes, il a travaillé avec Brian Bergström sur un projet d’une chanteuse avec Jean-Jacques. Tout de suite, à propos de Fernando, il m’a dit :  « c’est marrant, je travaille avec quelqu’un qui connaît par cœur Misanthrope et Holy Records, qui a vu Misanthrope il y a 10 ans et qui veut venir vous revoir en concert ». Il est venu et il a dit qu’il voulait nous proposer, selon notre budget, le studio Davout et ses compétences pour faire le disque, aussi simplement que ça. On est parti dans l’idée de donner la texture d’un concert de Misanthrope sur du son studio, avec un enregistrement professionnel comme on en n’a jamais eu.
 
Comment tu juges l’évolution du groupe au fil des années ?
Là, c’est difficile, il y a eu trop de phases. C’est un vieux groupe, on a 18 ans, on a commencé dans ma chambre avec la guitare de mon grand frère dans le 93, et on finit au studio Davout 18 ans après avec un album concept sur Charles Baudelaire. Je suis très content. Et quand on voit le bonheur que certaines personnes nous rendent, c’est ça qui m’intéresse parce que l’important c’est le gars qui aura payé 19 € et qui aura son digibook collector, un super disque de métal. En plus, c’est en français, c’est sa culture, le son y est, ça chante, ça joue, y a des compos et y a de la création ; il dira peut-être aussi : « merci Misanthrope, vous êtes trop généreux ». C’est ça l’important, bien sûr j’en suis fier, mais ce n’est pas le but premier. Ce qu’on veut, c’est faire plaisir aux gens.

Je pense que Misanthrope, on adore ou on n’aime pas, alors comment tu réagis avec l’expérience face aux critiques ?
Le problème, c’est que nous ne sommes pas un groupe neutre et je pense qu’il y a des critiques qui sont des attaques personnelles détournées, sans être paranoïaque. On sort un nouvel album dans une période  très difficile au niveau du marché du disque, où les groupes n’ont plus de budget et ils font tous n’importe quoi et c’est affreux. Je suis un vrai connard de dire ça, qui je suis pour juger les groupes, mais qu’on me cite 10 bons disques en 2007 de groupes français et on en reparle. Et c’est vrai que la sortie en janvier, vu qu’il n’y avait pas beaucoup de sorties ce mois-là et qu’on a repoussé la sortie, il était attendu et donc effectivement, y a plus de buzz que sur Metal Hurlant.

Et donc est-ce qu’il y a encore des objectifs que tu aimerais bien atteindre avec Misanthrope ?
Là, l’objectif, c’est de profiter de la sortie d’IrréméDiable, de la promotion, des dates, mieux gérer avec les outils Internet, Myspace que je ne connaissais pas bien. J’ai la chance de voir défiler les ventes, les mises en places, les promos et je vis ça intensément.


Misanthrope - IrréméDiable
Holy Records

Site : www.misanthrope-metal.com