Interview

L’attente a été très longue pour ce nouvel album. Il était supposé sortir plus tôt. Que s’est-il passé ?
L’enregistrement de l’album en lui-même n’a pas pris plus de temps que les autres albums. Le truc, c’est que l’album est fini d’être enregistré depuis 11 mois déjà. Il nous a fallu attendre dans un premier temps que notre producteur, Eddie Wohl, soit libre et ensuite que Jay Baumgardner puisse mixer l’album mais ça a pris du temps parce qu’il était occupé avec d’autres groupes. Les différents délais de sortie sont vraiment imputables à notre label aux USA car on avait un problème de distribution. Impossible de sortir cet album sans que nous ne soyons en phase avec le label. Notre management a du batailler pour trouver les bons distributeurs aux USA et en Europe. On devait sortir cet album en juin, puis, ça a été octobre, puis janvier… et maintenant, c’est mars/avril ! Ppfff…

Tu sais, je bosse dans un magasin de disques et tous les jours ou presque, des gens, depuis janvier, me demandaient quand allait sortir votre album…
Oh, vraiment ? Tu peux leur dire qu’il est enfin là !

Je sais que ça peut être une question un peu ennuyeuse, mais que s’est-il passé avec Roadrunner, pour que vous les quittiez ?
En fait, il y a plein de choses sur lesquelles nous n’étions plus d’accord. Quand nous avons enregistré One Nation Underground, il nous a semblé qu’ils ne s’intéressaient plus à nous. Pour être honnête, c’était réciproque parce qu’on avait bien senti qu’ils n’allaient plus trop nous pousser. C’est clair qu’à une certaine époque, ils étaient derrière nous ; par exemple, Confession a vraiment bien vendu aux USA, bien plus que notre 1er album. Maintenant, ils se focalisent sur des groupes qui vendent beaucoup de disques aux USA et je pense qu’ils ont à un moment donné voulu bosser des groupes qui avaient un autre style qu’Ill Niño. Il était grand temps pour nous de changer de label, afin de rester créatifs et de faire ce que nous voulions. On savait que sortir Enigma chez Roadrunner aurait été un suicide. Notre but était de faire un album bien Metal ; nous ne sommes pas le genre de groupe qui veut être une copie d’un autre truc qui marche. On n’allait pas retourner notre veste pour vendre 25.000 copies de plus quand même ! Je ne veux pas dire par là que nous sommes le groupe le plus original du monde mais nous voulions jouer ce que nous aimons, en évoluant naturellement. Roadrunner ne voulait plus nous suivre dans cette voie… Du coup, nous voilà chez Cement Shoes, un label tenu par un pote, un label qui croit en nous, pour qui nous sommes une priorité. Ça fait du bien…

Ecoute, j’ai toujours aimé Ill Niño et cet album ne déroge pas à la règle. Mais quelle est cette « énigme » (Enigma) dont vous parlez dans le titre, hormis bien sûr les délais de sortie de l’album (rire) ?
He he, ouais… L’idée d’énigme vient en fait de l’histoire racontée dans les paroles. J’ai essayé de faire des paroles un peu plus conceptuelles par rapport aux albums précédents. Les deux premiers étaient très personnels à cet égard. Le troisième était plus politique, anarchiste, contre le gouvernement. Enigma est plus mental, spirituel, si tu veux… Le concept vient d’un point de vue organique : si tu prends les titres un par un, tu pourras lire plusieurs histoires mais tout tourne autour de notre déconstruction sociale et mentale. C’est un album qui traite de notre futur mais pas d’un point de vue strictement humain, plus via divers éléments de point de vue comme la Terre, le feu, la glace... C’est certainement un peu plus difficile à appréhender. Les gens devront faire un effort de compréhension et trouver leur propre interprétation.

Les gens qui écoutent Ill Niño savent qu’ils peuvent s’attendre à de bonnes chansons, de gros riffs et de bonnes mélodies. Comment s’est passée l’écriture cette fois-ci ?
Ça a été quand même différent de nos débuts : ici, nous avons beaucoup bossé chez nous. Par exemple, je pouvais rester chez moi 30 jours sans voir personne, juste à écrire. La veille de faire la pré-production de l’album, ça faisait quand même 4 ou 5 mois d’écriture en tout, entrecoupés par quelques concerts. C’est définitivement la plus longue période d’écriture que nous n’ayons jamais eue pour un album. Ensuite, on s’est retrouvé pour bosser sur les titres ensemble, ce qui est en soi une nouveauté aussi.

Comment décrirais-tu l’alchimie qui existe entre vous musicalement ?
En fait, ça dépend un peu des chansons. Cette alchimie peut surgir à tout moment. Quelque fois, il n’y a qu’un d’entre nous qui entraîne tout le monde. Sur certains autres titres, 3 ou 4 personnes amènent leur grain de sel. En fait, ça arrive surtout quand nous sommes très créatifs. Nous travaillons vraiment très bien ensemble et les gars m’ont vraiment ouvert leur porte en tant que compositeur. Ils m’ont laissé faire ce qu’ils pensaient bon pour le groupe, tout en me suggérant énormément de choses. On peut dire que sur cet album, les chansons viennent toutes du cœur, elles sont pures en quelque sorte. En fait, les idées apportées ont été discutées mais le plus souvent acceptées par tous et c’est ça qui a créé une bonne atmosphère entre nous : quand tu commences à vouloir changer trop de trucs, les engueulades ne sont pas loin. Nous avons composé beaucoup de chansons pour cet album et la pré-production nous a permis de faire le meilleur choix possible. Du coup, on ressent une espèce d’accord tacite entre nous au niveau de la créativité sur cet album.

Si tu devais expliquer aux gens à quoi ils peuvent s’attendre là, tu dirais quoi ?
Je pense que cet album requiert une certaine forme de maturité au niveau de l’auditeur. L’esprit des titres est très proche de ce qu’on avait en tête et de ce que les gens aiment chez nous. Voilà un album qui est guidé par une même idée, celle de créer des émotions chez l’auditeur sur la base des éléments naturels que je t’ai déjà décrits auparavant. Disons que pour comparer, notre 1er album était celui d’un groupe qui voulait gueuler sa rage au monde entier, le deuxième servait à montrer comment on jouait. Notre 3ème album voulait pousser les gens à la révolte alors que sur Enigma, je pense que nous essayons plus de faire partager un certain état d’esprit.

C’est comme une thérapie ?
Non, rien à voir. On fait plus appel aux gens pour qu’ils essaient de comprendre les histoires, le puzzle, l’énigme qui se cache derrière nos paroles. Les gens le prendront comme ils veulent mais pour moi, cet album est vraiment un puzzle à remettre en ordre, comme un jeu pour l’esprit. Reconstituez ce puzzle et vous comprendrez de quoi sera fait notre futur.

Tu penses que la musique a le pouvoir de changer les choses ?
C’est bizarre parce que nous sommes un groupe que certains kids très jeunes apprécient aussi. Des gamins de 12 / 13 ans parfois ! Des mecs de 25 ans aussi, alors que les mecs de 30/35 ans, un peu moins. Pour un groupe, avoir une audience aussi large, ça peut être dangereux, il ne faut pas être trop provocant. Voilà donc un album qui devrait réunir des gens différents pour résoudre le puzzle et donc, je pense qu’Enigma a le pouvoir de changer certaines choses. Certains fans très dévoués d’Ill Niño pensent avoir une sorte de connexion spirituelle avec nous depuis toutes ces années et je pense avoir fait les meilleures paroles de toute ma carrière sur ce disque ; c’est important pour eux.

Comme je te le disais, quand un fan sait qu’un de vos albums va sortir, il attend quelque chose de particulier. Vous êtes quand même libres d’expérimenter, au risque de les décevoir ?
C’est marrant que tu dises ça parce que c’est vrai d’un certain point de vue. Les fans aiment le groupe pour ce qu’il est et parfois, ils aimeraient que l’on revienne avec le même album que celui qu’ils ont préféré. Mais la plupart des fans, je pense, veulent un disque qui ne corresponde pas à une mode. Certains groupes ont sans cesse besoin d’expérimenter, de changer de style ; nous, nous voyons plus ça comme un challenge, faire quelque chose de neuf, d’évoluer mais dans notre style. Faire la même chose reviendrait à tuer la musique très vite… Beaucoup trop de groupes font le même truc à l’infini parce qu’ils flippent à l’idée de perdre leurs fans s’ils changent. A ce titre, je pense qu’Ill Niño est plus proche au niveau de l’esprit de Faith No More que de Sepultura. Je pense que si on se contentait de faire le même truc à l’infini, nous perdrions nos fans qui pensent justement que nous sommes originaux.

En tant que chanteur, quelle est ta face d’Ill Niño préférée ? Quand tu hurles ou quand c’est plus mélodique ?
C’est vraiment une question difficile, man. Si je devais choisir, ça signifierait que le groupe ne doit aller que dans une direction. Les mélodies ont toujours été présentes dans le groupe et je ne me vois pas gueuler tout le temps. Le truc est de trouver la bonne tonalité au bon moment. Il n’y a pas de recette particulière, c’est au feeling, c’est presque une créativité vocale mathématique.

Comment vois-tu l’évolution du groupe tout au long de ces années ?
Je pense que nous avons justement beaucoup évolué. Au début, nous étions des kids qui ne pensaient qu’à gueuler et maintenant, nous essayons de créer des choses positives, de rendre les gens plus forts. Nous avons sorti un excellent 1er album, très colérique mais on ne peut pas faire ça à longueur de temps. Avant, c’était : on te rentre dedans ! Maintenant, c’est beaucoup plus spirituel. C’est très compliqué de comprendre ça si tu n’es pas totalement impliqué dans le groupe. Mais vous m’excuserez par avance, nous sommes un groupe chiant qui évolue (rire) !

Quels sont les buts que tu veux encore atteindre avec le groupe ?
Rien de bien spécial. Nous voulons aller dans des pays où nous n’avons pas encore mis les pieds comme la Chine ou la Russie. Aller dans un pays où nous aurions la chance de donner du bon temps aux gens. On a déjà parcouru les USA et l’Europe en long et en large. Attention, j’aime ça mais j’aimerais encore élargir mon horizon. Nous avons des fans fidèles en France aussi mais je sais que des kids aimeraient nous voir ailleurs et on ne peut pas y aller pour le moment, comme en Israël, en Iran, l’Afrique du Sud, la Turquie, le Brésil, l’Argentine... Plus que de vendre des tonnes de disques, voilà ce qui me botterait bien.

Qu’attends-tu de cet album ?
Je pense que c’est le bon moment pour nous de montrer une nouvelle facette du groupe. On s’en fout que ce soit plus heavy, plus mélodique, plus indus ou encore plus metalcore ou pas… On veut juste jouer notre musique et écrire nos chansons, tout en évoluant. De mon point de vue de musicien, je pense que cet album fera date. En tout cas, nous n’avons jamais été aussi sincères entre nous d’un point de vue musical…

Ill Niño – Enigma
Cement Shoes Records

Site : http://www.illnino.com/

Myspace : http://www.myspace.com/illnino

Ill Niño, voilà un groupe que certains ont toujours apprécié à la rédaction malgré une certaine perte de reconnaissance depuis quelques mois. Alors que nous désespérions un peu de voir enfin sortir Enigma, leur nouvel album qui a été maintes fois repoussé depuis l’année dernière, c’est un Cristian Machado particulièrement loquace, malgré un rhume carabiné, qui nous a passé un coup de fil pour nous expliquer à quoi nous attendre. Il était temps. Interview à paraître également dans le Metal Observer FNAC n°18 d'Avril 2008
Entretien avec Cristian (vocals) – Par Geoffrey & Will Of Death
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