logo

Building An Empire, premier album de Demians, est pour l'instant la révélation prog de cette année 2008. Cette oeuvre originale et quasi-parfaite est en plus le fruit du travail d'un seul musicien, le surdoué Nicolas Chapel. Et oui, le bonhomme est français. Fort de ce premier essai réussi, et sorti chez Inside Out,  il se lance à l'assaut des scènes et pense déjà à la suite.

Interview à paraître également  dans le Metal Observer FNAC n°19 de mai 2008

 Interview de Nicolas Chapel (guitares / chant) - Par Yath
Rechercher : dans l'interview

Salut ! L'album sort fin mai, et tu dois être assez stressé, vu qu'en plus, tu as tout fait de A à Z dessus !

Disons que ça fait longtemps que je travaille sur ce projet-là, donc j'ai un petit peu de recul quand  même maintenant, mais c'est quelque chose d'ultra personnel, j'ai hâte d'entendre les réactions des gens et de la presse. Globalement, c'est très encourageant pour le moment. C'est autant de l'inquiétude que de la hâte. J'ai envie d'y aller, de tourner beaucoup, de faire un deuxième album, d'évoluer.  Vraiment motivé !

À propos de réaction, on a entendu le commentaire très élogieux de Steven Wilson de Porcupine Tree ! (“Trad : c’est un des premiers albums d’un artiste les plus assurés et accomplis qu’il m’ait été donné d’écouter, les textures et les dynamiques de la musique sont incroyables. Un must pour ceux qui apprécient l’art du rock épique et ambitieux du 21ème siècle” )
Je l'ai rencontré par hasard, après qu'il ait dit cette fameuse phrase. C'est quelqu'un dont j'écoute la musique depuis plus de dix ans, que j'apprécie énormément, qui fait ce qu'il veut. Il fait partie de mes influences, dans sa façon de faire de la musique. Au moment où l'album a été fait, avant même que je n'ais un label, avec mon manager, on a essayé de trouver des points de commun avec d'autres groupes, des repères pour contacter des labels et voir comment on pourrait sortir l'album. Je lui ai parlé de Porcupine Tree, qui était fan de Gojira, dont il s'occupe également. Un jour, ces deux groupes jouaient dans le même complexe, dans deux salles différentes et leurs tour-bus étaient stationnés côte à côte. Mon manager est allé voir Steven Wilson et lui a donné l'album. Steven est ensuite allé voir le concert de Gojira et les mecs de Gojira sont allés voir le concert de Porcupine Tree. Après le concert, ils étaient en train d'écouter l'album. Il l'a même gardé et l'a trouvé assez bien pour avoir envie d'en parler. Il a proposé son aide pour sortir le disque. Je trouve ça très encourageant de sa part d'avoir parlé de mon album, au-delà de ce qu'il a pu dire, c'est le fait que quelqu'un dont j'écoute la musique depuis des années écoute mon album, y porte attention et se sent l'envie de communiquer son avis dessus... On s'est rencontré peu de temps après, quand ils sont passés à l'Olympia.

Justement, Steven Wilson est connu pour adorer la musique, il est reconnu et admiré par plein de gens, mais ça reste un fan de bonne musique !
C'est exactement ça. On me sort souvent l'influence de Porcupine Tree comme référence à Demians. En fait, 7 sur 8 des chansons du disque ont été composées avant 2002, avant la sortie d'In Absentia. On en a discuté avec Steven et on a trouvé plein d'influences communes. J'ai toujours été un grand fan de musique, et la musique a toujours été là pour moi. Les amis, ça vient, ça s'en va, mais la musique, les disques préférés restent là, bien présents. Steven Wilson reçoit beaucoup de disques et de démos à écouter, mais, il le dit lui-même, n'a pas le temps de tout écouter. Ce qui est encourageant, c'est qu'il ait pris le temps d'écouter et d'apprécier l'album au point d'avoir envie d'en parler. C'est quelqu'un qui n'a pas oublié d'où il vient.

Tu n'as pas que le manager en commun avec Gojira, puisque comme eux, tu as un peu tout fait seul, loin de toute pression, à ton rythme et avec tes propres moyens... C'est une démarche voulue ou est-ce que tu as simplement utilisé les moyens du bord ?
Les deux. J'ai toujours éte introverti. Les 20 premières années de ma vie, j'ai du décrocher 3 phrases. Et je me suis rendu compte que ma musique disait tout ce que j'avais besoin d'exprimer. Je raconte la même chose dans mes chansons que ce que je disais étant gamin. Aujourd'hui, on écoute mes chansons, alors qu'on ne faisait pas attention à ce que je disais. Quand j'ai rencontré mon manager, tout était déjà composé, arrangé. Il est parti de rien, notamment avec Gojira et on sait tout ce qu'ils ont réalisé, il m'a donné envie de sortir ces chansons.  Il me fait entièrement confiance, et n'a même pas besoin d'écouter mes chansons avant qu'elles ne soient terminées. J'ai donc tout fait seul, avec les moyens dont je disposais. J'ai enregistré la batterie dans la cave, les guitares dans la chambre de mon petit frère, le chant dans ma chambre avec du matos ridicule. Je savais exactement ce que je voulais. C'est exactement ce qui est illustré sur la pochette : si je veux bâtir un empire et que je n'ai que 3 chaises à ma disposition, et bien je vais faire avec ! Ça me permet d'être totalement honnête avec moi-même. Si je me casse la gueule, ça sera uniquement de ma faute.

pix

Et le fait de bosser seul, était-ce aussi un choix ou une obligation parce que tu ne trouvais pas de musiciens qui comprennent tes idées ?
Disons que je n'en ai pas cherchés. Pour moi, les instruments sont comme différentes couleurs pour faire une peinture. Plutôt que d'expliquer à un batteur pendant des heures ce qu'il doit faire, je me suis dit : autant le faire à sa place. Ça m'intéresse de bosser avec d'autres musiciens quand je veux qu'ils apportent leur propre identité, là, comme je sais exactement ce que je veux, ça n'aurait amené que des interférences. C'est vraiment un procédé ultra-personnel. Je m'enferme, je m'enregistre, et je réécoute pour choisir ce que je garde et ce que je jette. Les textes restent généralement inchangés, à part quelques minimes modifications. Les textes et la musique viennent naturellement et simultanément. J'ai déjà joué dans des groupes, et même si ça m'a apporté énormément, ça m'a aussi apporté pas mal de barrières. Si t'as un batteur dans le groupe, y aura de la batterie sur tous les titres. Moi, je ne fonctionne pas comme ça, si j'ai envie qu'une chorale de gamins traverse un morceau, je vais l'enregistrer, que ce soit avec des samples, des vrais gamins ou 40 pistes de ma propre voix. Je ne veux pas me mettre de barrières. Et même avec mon groupe live, on pense d'abord aux chansons, avant l'ego de tel ou tel musicien.

Tu as appris tous ces instruments au fur et à mesure de tes envies ?
Exactement. Le premier instrument dont j'ai appris à jouer est la guitare, vers 7-8 ans. Et après une seule heure de cours, j'ai décidé de ne plus y retourner. Le mec a passé plus d'une heure à me dire ce que je ne devais pas faire, moi, chez moi, personne n'avait le droit de me dire ce que j'avais le droit de faire ou pas. Tu loues une batterie ou tu l'empruntes, tu t'enfermes et tu joues, tu t'enregistres, et même si c'est nul, personne ne l'entendra ! Et au bout d'un moment, je me suis dit que là, je tenais quelque chose d'intéressant...

Et les thèmes des chansons sont-ils également totalement personnels ?
Pour cet album, chaque chanson a son propre thème, son identité. Mais cet album est un concept dans le sens de sa réalisation, il reflète l'artiste au moment où il l'a réalisé. Tous les éléments de votre vie construisent votre personne. Et tous les éléments de ma vie ont fait ce premier album de Demians.

Sur cet album, on a l'impression de voir le lien entre le prog traditionnel et le prog metal moderne, on pense notamment à Tool et à Porcupine Tree...
Ce sont deux groupes que j'écoute depuis longtemps, et j'apprécie particulièrement leur démarche qui se joue des genres musicaux. Pour moi, les noms de styles musicaux et les étiquettes ne me parlent pas du tout, même la classification metal ou rock ne me parle pas. Je décrirais mieux ma musique en parlant de vie, d'émotions. Quand j'écoute du Messhugah, j'écoute Messhugah et pas un groupe de metal. Pareil pour Gojira. Tool peuvent être classés metal, rock ou prog, ou n'importe quel autre style musical tellement ils ont leur propre patte. Ces groupes-là m'ont donné envie de me lâcher et de ne m'imposer aucune barrière. Je prendrais aussi  l'exemple de Silverchair qui ont commencé par sortir un premier album hyper-influencé qui les a tout de suite catégorisés. Mais maintenant, le groupe a grandi, il se fait plaisir. Maintenant je vais tourner énormément, rencontrer plein de musiciens, je vais apprendre beaucoup et mon niveau de musicien va encore évoluer. J'aurais envie de raconter ça dans un autre album, et le propos sera donc encore différent. Toute cette notion de styles m'importe peu, je veux simplement trouver mon identité. Mon objectif est de créer des chansons intemporelles, que vous pourrez écouter dans 1 an ou 20 ans sans qu'elles ne prennent une ride.

Il y a un buzz autour du groupe en ce moment, c'est venu assez vite...
Oui, c'est venu vite, et je suis moi-même dépassé... Il y a tellement de gens intéressés par ce projet et qui y croient, alors que je vis avec ces chansons depuis très longtemps ! “Saphir” par exemple a été composée en 2003. C'est surprenant mais aussi très encourageant. Honnêtement, je fais les choses à fond, on vit dans un monde où on a l'impression qu'on n'est pas important, j'ai toujours eu l'impression que je n'avais rien à dire ; avec cet album, j'ai pris le temps de réfléchir à ma situation, à mes rêves d'enfants, que vais-je faire. Je me suis concentré sur les émotions que je voulais faire passer, plus que sur la façon dont j'allais le faire. C'est ce qui parle aux gens, je pense. Enfin un artiste qui ne nous prend pas pour des cons.

La signature chez Inside Out est également importante, c'est un gage de qualité pour les “clients” puisque dans le domaine du prog, ce label n'a plus rien à prouver...
Encore une fois, c'est très naturel. Ils m'ont contacté en ayant écouté une maquette de “Saphir” sur Internet. Ils voulaient directement un album. Comme je voulais encore travailler sur l'album, on est resté en contact. J'ai fini l'album et je suis allé les voir ensuite, en Allemagne, on a discuté musique toute la journée avant de parler du contrat. Et j'avais besoin de ça. Je n'arrive pas à m'identifier au prog du catalogue Inside Out, mais ils ont écouté l'album avec passion et il a éveillé leur intérêt. Ils n'ont pas besoin de moi, mais ils se sont dit : “le p’tit gamin français fait de la bonne musique” et ils ont eu envie de me faire connaître, et ça je l'apprécie aussi. Inside Out n'est pas non plus le genre de label qui se repose sur ses lauriers. Ils essayent plein de choses, ils donnent  leur chance à des artistes difficiles d'accès, comme Devin Townsend ou Kevin Moore. Ils ont pris des risques et essayent toujours de donner la parole aux artistes. Cette signature s'est aussi faite naturellement, avec une vraie rencontre, un vrai projet et une vraie envie de faire de la musique.

pix

C'est marrant parce qu'on a un peu tendance à se méfier des nouvelles technologies, d'Internet et du fait que n'importe qui peut enregistrer ce qu'il veut à la maison, mais Demians est l'exemple parfait du potentiel de ces technologies, t'as tout fait seul et Internet t'a permis de faire les rencontres qu'il faut pour sortir ton album...
Ouais, exactement. Généralement, on diabolise trop Internet ou alors on l'encense trop. Pour moi, Internet reste un outil, rien de plus. Internet ne donne ni le talent ni l'envie aux groupes. Sans prétention, je pense faire la meilleure musique que je puisse faire au moment où je la fais, en toute sincérité. L'informatique est très peu présent sur mon album, il permet surtout d'enregistrer à moindre frais, sur des disques durs notamment. Mais sans ces outils, j'arriverais quand même à enregistrer, tous les instruments ont quand même été joué. Internet est un outil, une page Myspace avec plein d'amis ne te permettra pas de rencontrer les bonnes personnes, de tourner dans de bonnes conditions ou de composer des chansons qui vont plaire.

Pour le prochain album, tu vas encore tout faire toi-même ou est-ce que tu vas utiliser un studio, avec un vrai matos et pourquoi pas des musiciens de session ou des invités ?
D'abord, je pense que je vais tout faire tout seul, encore une fois. J'ai énormément de chansons en stock. Après la tournée, je serai forcément inspiré, plein de nouvelles idées. Je suis fier de Building An Empire, car il a été réalisé avec 0 € de budget. Mais j'aimerais quand même avoir plus de moyens pour le prochain, sachant que le matériel ne fera pas la qualité des compos. J'adore m'enfermer, essayer des choses, je vais continuer de faire ça, sans me poser de barrière, sans regarder ma montre toutes les 5 minutes et calculer le prix du studio... La démarche va rester la même.

Tu as monté un groupe pour jouer en live. Avez-vous déjà donné des concerts ?
Pas encore, la première date est demain, en première partie d'Oceansize (entretien réalisé le 21 avril -ndlr). En général, on commence dans un café devant 5 personnes... Ensuite, on va enchaîner les dates en Europe et même aux States.

Tu as donné quelques concerts en acoustique aussi...
Oui, j'ai donné trois concerts en acoustique, en jouant des chansons différentes à chaque fois. Je n'aime pas être dans la lumière. J'avais besoin de me faire violence et me tester sur scène. J'ai pris une guitare acoustique et j'ai joué mes chansons de manière totalement dénudée. Je me suis dit, si ça, ça le fait, c'est que ça va aller. Ça a été très bien accueilli, les gens me parlaient après les concerts. Ce contact m'a fait du bien et m'a donné envie de continuer à partager mes chansons sur scène.

Bon, maintenant que Steven Wilson a mieux vendu ton disque que n'importe quel chroniqueur, ma question a l'air débile... Comment pourrais-tu décrire Demians pour donner envie aux gens de s'y intéresser ?
(rires) Très bonne question... Tout le monde peut se retrouver dans ce disque. Quand tu te réveilles le matin, que tu n'aimes pas ton travail, que tu n'aimes pas ta vie, que t'as envie de gueuler un bon coup, tu peux te retrouver tes rêves d'enfance, tes envies dans ce disque...

Ca s'entend dans Demians dans la mesure où même si les chansons sont généralement mélancoliques, elles renferment toujours pas mal d'espoir ou de lumière...
Oui, je suis d'accord. Il y a de la mélancolie, de la tristesse, mais l'espoir est présent ne serait-ce que dans la démarche. Me tenir droit, chanter devant les gens, ça m'a pris un gros effort. Cet album est bourré de lumière et Building An Empire est fait de ce contraste, comme ma vie. C'est plein de petits éléments, différents dont la somme donne ma personne. Ça va au-delà des styles et des genres, il s'agit d'émotions.
 
 
DEMIANS – Building An Empire
Inside Out
/ Wagram


Myspace :http://www.myspace.com/demiansmusic