KIPLING



Le quatuor lyonnais, tout récemment devenu quintette, livre son premier album, un instantané séduisant d'emocore faisant une réflexion générale sur les pressions qu'effectue la société sur les petits amateurs de musique que nous sommes (et les autres...). Kipling nous en dit un peu plus sur sa démarche, « Lives & Walls » - son livre de la jungle à lui - et sur ses projets d'avenir.

Interview parue également dans le Metal Obs' 34 d'octobre 2009

Interview collégiale – Par Gilles Der Kaiser
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Comment est né Kipling ?
Sofian : Kipling est né de la volonté de Nicolas (chant /guitare) et Thibaut (basse) en 2005 à Chambéry. Suite à quelques déceptions au sein de leurs groupes respectifs, ils ont décidé de monter ensemble un nouveau projet pour aller de l’avant. Ils se sont accompagnés de Marc (batterie) et de Ben (guitare). Grâce à eux, le groupe dégagea rapidement une grosse énergie sur scène et un potentiel prometteur. Cependant, l’ambiance ne fut pas toujours excellente et entraîna des changements de line-up, notamment en 2006 avec l’arrivée d’Alexandre à la place de Ben à la guitare et un an plus tard avec le départ de Marc, me laissant ainsi la place derrière les fûts. Hugo vint renforcer le groupe, en devenant le premier DJ/keyboardiste de la formation, lors de l’enregistrement de l’album Lives and Walls en mai 2009.

Pourquoi un tel nom de groupe ? Y a-t-il un lien quelconque avec Rudyard Kipling ?
Thibaut : Bien sûr, il y a un lien avec l’auteur. A travers ce nom, on rend hommage à ce grand écrivain britannique du 19ème siècle. On n’a pas choisi ce nom au hasard, Rudyard Kipling était un auteur reconnu et à la fois modeste, ces œuvres sont variées et il exprimait son point de vue et ses idées de la société dans laquelle il vivait, à travers ses ouvrages.
Nico : On se retrouve dans ce personnage, nos influences sont variées et on critique le système qui nous entoure avec des métaphores. La musique est une liberté d’expression, tout comme la littérature, alors on l’utilise pour s’exprimer et pas pour faire des textes sans fond, il est donc important pour nous d’avoir un nom représentatif de notre état d’esprit.

Comment s'est déroulé le tournage du clip de « Lives & Walls » ?
Nico : Pour le clip, on a travaillé avec Victor Lazaro, un jeune réalisateur de génie qui nous a proposé un projet capable de résumer toutes les idées et l’ambiance transmises via notre album. Le tournage s’est déroulé en deux parties. La première partie, qui ne concerne pas l’histoire, a été tournée sous le chapiteau de la Viva Bodega à Lyon.
Alex : Une soixantaine de figurants sont venus tourner avec nous et l’ambiance a été exceptionnelle. La seconde partie s’est faite sur Paris, c’est là-bas que tout le côté histoire du clip a été enregistré. Victor a su capter rapidement ce qu’on attendait de lui et son travail a été remarquable et bien au-delà de ce qu’on imaginait. Il a parfaitement imagé notre musique.

Pourquoi avoir choisi ce morceau-là comme « single » ?
Alex : A vrai dire, avant d’entrer en studio, on ne le voyait pas du tout comme un potentiel single car « Lives And Walls » est un morceau assez ancien en terme de composition. Mais au moment de l’enregistrement, ce morceau a pris une nouvelle ampleur, il avait une dynamique différente, un groove, quelque chose qui nous a pris aux tripes. Il s’est donc naturellement démarqué des autres…
Nico : C’est un morceau qui reste plus facilement accessible au public par sa structure et sa dynamique. Ce titre résume bien l’idée générale de l’album et je pense que c’est celui qui représente le plus Kipling à l’état brut.

 KIPLING

Le groupe existe depuis 2007 seulement et vous avez déjà sorti deux EP’s et un album... Avez-vous directement trouvé la bonne formule tant sur le plan humain que musical pour être aussi prolifiques ?
Alex : Effectivement, le line-up s’est fixé en 2007 avec l’entrée de Sofian. Un équilibre s’est formé à ce moment-là sur le plan humain, les caractères se sont complétés formant ainsi une unité dans le groupe.
Sofian : Après, sur le plan musical, il y a eu une nouvelle ouverture qui a permis d’explorer de nouveaux chemins, plus personnels, et ainsi de déboucher sur le second EP. Ce second EP est en réalité la base de l’album Lives And Walls, on y retrouve les morceaux « Stolen days – Heroin – Eyes opened ». Après l’enregistrement de celui-ci, on a pris conscience de l’ambiance et des intentions qui s’en dégageaient, on a donc décidé de poursuivre sur cette lancée pour la suite.
Nico : On a donc remanié quelques morceaux, on en a composé des nouveaux et on est arrivé à cet album. Nos liens se sont intensifiés pendant le studio, notre équilibre s’est renforcé nous permettant ainsi d’intégrer un membre de plus en la personne de Hugo.
Hugo : Sur le plan humain ? (rires) Non, pas de soucis puisque je les suivais depuis déjà quelques années…
Nico : Ensuite, sur le côté musical, il a su rapidement apporter un plus à notre musique tant sur l’album que sur la scène. Aujourd’hui, on garde donc ce line-up solide et efficace.

Pourquoi avoir fait figurer sur l'album des morceaux déjà disponibles sur vos deux premiers EP’s ?
Thibaut : L’album est comme la prolongation de notre second EP, les trois titres tournaient autour d’un même thème et on a voulu approfondir ce thème, construire une histoire tout en conservant ces trois piliers. Pour ce qui est du premier EP, le seul morceau que l’on retrouve sur l’album est « Dust Of Crowds ». Ce titre était, si on peut dire, avant-gardiste par rapport aux autres morceaux du EP, on y trouvait déjà des petites idées des deux enregistrements suivants, de plus c’est un titre que l’on apprécie beaucoup et dont on ne se lasse pas.
Nico : On a donc choisi de le conserver pour l’album, on l’a retravaillé et ré-enregistré pour accompagner les morceaux du second EP, qui ont juste été remasterisés, et les nouvelles compos.
 
L'anglais était-il un choix naturel ou plutôt d'ordre commercial ?
Alex : L’anglais a été un choix naturel, on ne s’est pas posé de question. Nicolas étant bilingue, il a toujours préféré chanter en anglais. Avec le recul, le fait d’être en anglais nous permet plus facilement d’être sur la scène internationale et pas uniquement française.

Vous êtes sur un label (M&O Music) qui n'est pas forcément que connoté métal. Cette signature chez eux était-elle une manière pour vous de davantage encore revendiquer vos différentes influences ?
Sof : Non, lorsque l’on a signé avec M&O Music, on a plus privilégié le côté humain et les différents accords qu’ils nous ont proposés. Ce qui nous a surtout plu chez eux, c'est le fait que ce soit un label tout récent avec toute la vigueur et l’énergie que cela peut représenter, on peut donc dire qu’on a ce point commun avec eux à savoir de se construire une image et de se faire découvrir du public.
Alex : Maintenant, il est vrai que c’est intéressant pour nous d’être signés sur un label aux diverses influences, cela permet de ne pas être étiqueté dans un style précis.

Vous sonnez très américain. La majorité de vos influences viennent-elles des USA ?
Sof : Effectivement, nous avons beaucoup d’influences d’Outre-Atlantique, la première étant le groupe Thrice, suivie de Underoath. Ensuite, chacun d’entre nous a ses propres influences et elles viennent toutes de pays anglophones ou encore du Japon. La sonorité de ces groupes est différente par rapport à ce qu’on trouve en France, les instruments sont plus présents, entraînant ainsi une partie instrumentale plus recherchée et plus technique. Certains groupes se passent même du chant, chose inconcevable en France. On apprécie énormément le fait d’avoir des instrus avec la même importance que le chant, chacun y trouve sa place et c’est aussi ça qui fait notre équilibre.

Aviez-vous une idée précise du son que vous vouliez obtenir en entrant au NSR studio ? Vous êtes-vous impliqués dans la production et dans le mix de l'album ?
Nico : Oui nous avions une idée très précise de ce que l’on souhaitait en résultat et ceci grâce à nos EP’s?  notamment le second. Le rendu de l’album est très proche de ce second EP, l’ambiance est déjà présente, on a travaillé pour que les sons soient plus lourds, les mélodies plus claires et distinctes, la batterie et le chant plus présents, les morceaux plus dynamiques.
Thibaut : Sur le point de vue enregistrement, on y a mis plus de volonté et de rage mais le plus gros du travail s’est effectué sur le mix. Pour cela, on a travaillé avec Fabrice Boy du studio Sonic Box. Il n’a pas hésité à nous faire beaucoup de propositions sur notre musique et notre son. Toujours à la recherche d’améliorations, il a passé énormément de temps sur chacun des morceaux, il les a tous traités différemment les uns des autres afin d'en faire ressortir le meilleur. Durant toute la période de mix, qui a tout de même duré environ 1 mois et demi, il y avait toujours au moins un membre du groupe avec lui avec qui il discutait des différents éléments. Enfin, son associé a terminé l’album avec le master et là encore, le travail a été minutieux. On s’est donc énormément impliqués dans toutes les étapes de la création de cet album et on doit beaucoup à Fabrice, qui est devenu notre ingé-son en live, et son associé.

 KIPLING

Les guitares occupent beaucoup de place (tout comme la voix d'ailleurs). Lors du processus de composition, articulez-vous les morceaux autour des riffs ? Et si non, comment se compose un morceau au sein de Kipling ?
Sof : On compose souvent autour des riffs, cependant on se retrouve parfois dans une impasse. Quand c’est le cas, la basse ou la batterie peuvent faire la différence, faire évoluer le morceau. On ne reste pas trop fixé à une méthode de composition, le changement apporte aussi de nouveaux horizons, par exemple le morceau « Black eyed doll » a été composé à partir de la batterie.
Nico : La seule structure de composition que l’on a toujours conservée pour l’instant, est le fait de créer d’abord tout l’instrumental et ensuite d’y ajouter le chant, un peu comme la cerise sur le gâteau, c’est aussi pour ça que la partie instrumentale tient une grosse place au sein du groupe.

Des titres comme « Lives & Walls » et « (Ghosts) » sont dans une veine un peu plus métal que d'autres, plus emo/rock, comme « Stolen Days ». À l'intérieur même de la plupart de vos morceaux, on retrouve d'ailleurs ces deux aspects. Sont-ils complémentaires ? Vous a-t-il paru naturel de proposer ces deux facettes ?
Alex : En fait, on ne pense pas au style auquel le morceau va se rapprocher, ce qui compte, c’est son rendu. On est aux confluents de plusieurs styles, de plusieurs influences, on sait où se trouvent nos barrières et on reste à l’intérieur de celles-ci, tout en s’y déplaçant.
Nico : C’est le mélange de tout cet ensemble qui fait le son du groupe et les différents aspects sont plus ou moins exploités et mélangés en fonction de la période, de notre humeur et de nos influences du moment. Mais on ne calcule jamais notre musique, on la compose comme elle vient.

J'ai l'impression (fausse peut-être) qu'avec cet album (son titre et sa pochette notamment), vous abordez la spirale de la routine et les barrières (murs) que l'on se fixe presque tous pour se retrouver finalement à toujours faire les mêmes choses/activités. Qu'en pensez-vous ?
Thibaut : C’est à peu près ça, à la différence près qu’on aborde non pas la routine que l’on se fixe, mais celle qu’on nous impose. On est enfermé entre les murs d’un système qui nous formate: on entend toujours les mêmes choses, on nous cache les vérités et les horreurs de ce monde afin de mieux pouvoir obéir. La liberté d’expression et la liberté de penser existent, et encore pas dans tous les pays du monde, mais nous sommes influencés.
Alex : C’est cette routine que l’on critique, son fonctionnement mais aussi les personnes qui sont conscientes de ça et qui ne font rien. Nous ne cherchons pas à être assimilés à des révolutionnaires ou des anarchistes, on incite simplement les prisonniers de cette doctrine à retirer le bandeau devant leurs yeux pour voir la réalité de notre monde.
Sof : Le clip est une parfaite image de cette idée, tout comme l’est la pochette. On a eu la chance de rencontrer des personnes capables de nous faire avancer, de nous soutenir, et aussi de nous accompagner via leur savoir-faire (son, image, photo, vidéo, management…) et si le groupe en est là, c’est en grande partie grâce à eux.

Et vous, êtes-vous prisonniers de vos routines ?
Sof : Pas vraiment, on a des contraintes comme tout le monde mais on ne peut pas dire que notre vie soit une routine. On fait un album, des concerts, un clip, on rencontre beaucoup de monde, on ne sait pas où on sera demain, c’est aussi ça l’avantage de la musique et voilà ce qui nous empêche d’être prisonniers de notre routine quotidienne !

Vous semblez donner beaucoup d'importance au live. Que représente-t-il pour vous ?
Thibaut : Le live, c’est l’aboutissement de tous nos efforts, c’est là où on récolte le fruit de notre travail. Si l’album fait parler de lui alors le public est présent. Au-delà de ça, c’est le lieu où l’on s’exprime le mieux, on partage nos sentiments avec le public, on se défoule, on vit notre musique…
Nico : La scène reste le meilleur moyen de voir où en est le groupe, voir s'il y a une bonne entente entre les membres, voir si le tout est carré et propre… C’est facile de faire un album qui sonne carré : à notre époque, on a des super logiciels d’édition en studio qui permettent de faire d’excellentes retouches. Avec ça, on écoute un groupe et on se dit que les mecs sont bons, puis une fois en live, c’est la déception totale car ils sont incapables de jouer coordonnés sur scène. Pour moi, un groupe est carré à partir du moment où il l’est en live et pas sur CD.

Vous avez d'ailleurs essentiellement joué dans la région lyonnaise. Avez-vous des projets de tournée ou de dates ailleurs en France ?
Alex : Nous sommes en train de travailler dessus justement, avec l’album de nouvelles opportunités s’ouvrent à nous et notamment une tournée sur la France. Nous allons faire la promotion de notre opus un peu partout sur le territoire en espérant y trouver du monde à chaque fois.

Le fait d'avoir ouvert pour Silverstein fut-il un pas de plus pour Kipling ?
Nico : Oui et non, le fait de faire la première partie de ce groupe à résonance internationale ne nous a pas propulsés sur le devant de la scène française. Cependant, on a beaucoup appris ce jour-là, le charisme, le professionnalisme, l’énergie… Quand on les voit, on comprend pourquoi ils en sont là aujourd’hui avec une telle renommée. C’est au contact des gros groupes et en s’imprégnant de leur travail qu’on apprend petit à petit à devenir un groupe de la scène internationale. On a encore beaucoup de travail devant nous et encore beaucoup de choses a apprendre pour en être à leur niveau, mais ils nous ont donné un coup de motivation en plus pour aller encore plus loin.

Vous êtes encore un jeune groupe. Quels sont vos objectifs maintenant ?
Sof : On se concentre actuellement sur nos prestations live car on sait que les mois à venir vont être chargés de concerts. On attend patiemment la sortie de l’album, du clip et les réactions que cela va entraîner. On prend les choses dans l’ordre, on ne va pas se précipiter sur un second album ou un second clip,il faut que Lives And Walls fasse son effet, on est très curieux de savoir comment il sera reçu par le public français. Kipling, ça chie, c’est la guerre… See you on the road !


KIPLING – Lives And Walls
M&O Music / Socadisc



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