AGUA DE ANNIQUE


Sors de ma chambre !!

Depuis son départ de The Gathering en 2007, Anneke van Giersbergen n’a pas perdu de temps pour nous présenter sa musique très intimiste au sein de Agua de Annique, quitte à en dérouter plus d’un. Après l’envoûtant Air et la parenthèse Pure Air, elle enfonce le clou avec In Your Room, à la pochette et au contenu résolument pop-rock. Anneke continue pourtant à tenir une place à part dans le cœur des metalheads, et notamment en France … n’a-t-on pas tous parfois besoin d’un peu de tendresse dans ce monde de brutes ?

Interview parue également dans le Metal Obs' 35 de Nov. 2009

Entretien avec Anneke van Giersbergen (chant) - Par Geoffrey & J.C. Baugé
Rechercher : dans l'interview
 
Combien de fois on t’a posé la question bête et méchante du type : when will you play in my room ?
Pas souvent, en fait. Les gens se font leur propre idée sur le titre de l’album, In Your Room. C’est facilement sujet à interprétation.

Que signifie au juste ce titre ?
Pour mes deux premiers albums, Air et Pure Air, il était question d’évasion, du ciel, de l’éloignement. J’étais en phase d’introspection au moment de l’écriture de ces chansons. Le studio et les conditions d’enregistrement étaient cette fois différents. Les titres sont à la fois plus intimes, directs et… transparents. In Your Room est tout à fait approprié, ça semble dire : ici et maintenant.

Les nouveaux titres paraissent moins tristes mais plus mélancoliques que ceux de Air. Qu’en dis-tu ?
Oui, tout à fait. Ça a beaucoup à voir avec le cycle de sortie d’un album : c’est l’instantané d’une période de ta vie, une fraction de ton journal intime. Il m’a semblé urgent d’être claire sur certains points et dire vraiment ce que je pense. Ça s’entend d’ailleurs au niveau de la production : tout était préparé à l’avance, on savait exactement comment on devait sonner et comment on allait enregistrer.

Comment est-ce que tu composes et travailles avec le groupe ?
Je me mets vraiment à composer sérieusement quand on planifie de sortir un album. Ça se passe de la façon suivante : je conduis Finn, mon fils de 4 ans, à l’école et au retour vers 9 heures, je me mets au piano ou à la guitare et j’écris la musique sur mon portable. Ça pourrait ressembler à un boulot mais l’inspiration vient en fait à tout moment : je peux avoir des idées pour des lyrics en me promenant en vélo dans la nature ou en discutant avec des amis… je les retravaille après coup. J’ai écrit beaucoup de chansons ces derniers mois. J’ai ensuite travaillé sur la pré-production avec Joris, mon guitariste. J’ai demandé à Michel Schoots, l’ex-batteur d’Urban Dance Squad, qui est maintenant un producteur réputé en Hollande, de m’aider à terminer certains titres, que ce soit au niveau de l’écriture ou des arrangements. Il a éliminé pas mal de chansons pour ne garder que les meilleures (rires).

Tu l’as bien pris ?
Oui, bien sûr. Il sait précisément si un titre est bon et comment il doit sonner. Quand il écartait une de mes chansons pour telle ou telle raison, j’étais OK.

AGUA DE ANNIQUE

Même si c’était une de tes chansons préférées ?
Certaines de ces chansons comportaient en effet des paroles traitant de sujets importants à mes yeux, ou de belles lignes de chant. Mais ces éléments ne font pas forcément une chanson réussie. J’avais donc besoin d’un regard extérieur, de quelqu’un qui prenne de la hauteur. Michel ne me connaissait que de nom, donc il n’a pas été influencé plus que ça par mon parcours. Il a pu juger mes compos d’une manière claire et objective. On a donc fait évoluer les titres sélectionnés vers l’essentiel. J’avais besoin de cette approche. Ça reste ma musique, qu’on la catalogue dans l’alternatif ou le pop-rock, mais la recherche de la qualité a cette fois nécessité beaucoup d’investissement de ma part. L’implication de Joris a aussi été importante pour placer les bons accords, etc... La structure de chaque titre était figée au moment de l’enregistrement : il n’y avait plus à discuter de la durée ou de la place d’un chorus. L’atmosphère de travail du groupe dans notre home studio était ainsi plus cool. Et comme on était à la maison, la nuit, je pouvais m’enregistrer ou aller me coucher devant un bon film.

Quand tu as décidé d’entreprendre ta carrière solo, ton plus gros challenge était-il d’endosser le rôle de principale songwriter ?
Pas vraiment. Pour Air, je disposais de suffisamment de matière, des titres récents et plus anciens. Pure Air est à part car c’était une relecture de mes propres titres et une collection de reprises. Pour le nouveau, j’ai engrangé pas mal d’idées et j’ai eu la possibilité d’extraire ainsi les meilleurs morceaux. Je peux composer des chansons très lourdes et d’autres au contraire très intimistes au piano. J’ai la chance de ne jamais tomber à court d’inspiration.

Sans parler de ta liberté d’artiste…
Exactement, ça n’a pas de prix. J’ai même déjà des idées pour le prochain album.

Tu as co-écrit “Just Fine” avec Devin Townsend. Etonnant, non ?
Chacun connaissait bien le travail et les goûts musicaux de l’autre mais on n’avait pas encore eu l’occasion de travailler ensemble jusqu’à présent. Notre rencontre tient du miracle : on travaillait au même moment sur nos albums respectifs, lui sur Addicted …

…soit un style très différent !
Effectivement. Mais on arrive toujours à combiner certains éléments. Sa musique est extrêmement heavy, à l’image de son groupe Strapping Young Lad. Néanmoins, les scènes Metal et Rock sont suffisamment riches et variées pour avoir des points en commun, et notamment l’honnêteté des artistes. Devin en a toujours fait preuve, que ce soit en période de déprime lorsqu’il produisait de la musique très brutale, ou encore maintenant qu’il est marié, père de famille, et qu’il a arrêté la drogue et l’alcool. Tu peux trouver des morceaux vraiment soft sur Ki. On reprenait « Hyperdrive » de Devin en live avec Agua De Annique et je voulais lui montrer le résultat sur YouTube, lui dire combien on aimait ce qu’il faisait. J’ai pensé à le contacter pour lui proposer de m’écrire des titres, de chanter ou de jouer des parties de guitare sur le nouvel album. Il l’a appris et a trouvé ça cool, il m’a invité du coup à participer à son propre album. Je suis partie 4 jours dans son studio au Canada et j’ai posé ma voix sur 9 de ses morceaux, puis nous avons composé 4 morceaux dont l’un figure sur In Your Room. Ça a été une collaboration fantastique. Devin n’est pas seulement un musicien exceptionnel, c’est aussi un homme intelligent, sensible et extrêmement drôle.

Ta voix sonne différemment sur ce nouvel album. Comment t’y es-tu prise ?
Effectivement, avec une musique différente, il faut adapter les mélodies vocales. Même si on reconnaît ma marque de fabrique, je ne chante pas de la même façon qu’il y a 10 ans par exemple. Pour cet album, le challenge était de chanter d’une voix aussi pure que possible. Je raisonne en tant que musicienne : il n’est pas toujours utile de placer des lignes de chants très compliquées sur une musique, il suffit souvent de garder ce qui vient naturellement. Si j’ai un message à faire passer, je peux simplement le dire, le murmurer ou le chanter, sans me prendre la tête dans mon rôle de vocaliste. Le fond l’emporte sur la forme, et c’est ça la nouveauté. Il n’y a plus ces longues envolées vocales que je pratiquais par le passé. Entendons-nous bien, j’adore encore en faire, mais elles auraient été hors sujet dans le cadre de ce nouvel album.

AGUA DE ANNIQUE

Quels sont cette fois les sujets abordés ?
Bonne question… Cet album est très personnel, il vient du plus profond de mon âme. D’un autre côté, il y a plus d’histoires inventées que dans ce que j’ai déjà pu sortir, beaucoup de gens adorent « Hey Okay ! » par exemple.

C’est ma préférée de l’album...
Oh, merci. J’aime assez « Adore », un titre très intense, très romantique, écrit par Jacques, mon bassiste. Les lyrics sont un peu plus complexes mais il fallait aussi ce type de morceau pour l’album. « Just Fine », le titre écrit avec Devin, parle d’être bien dans sa peau mais évoque, tout en relativisant, les démons intérieurs. « Pearly », qui ouvre l’album, est aussi une chanson plus légère à propos d’une fille amoureuse du présentateur du JT et qui le suit tous les matins à 8 heures.

C’est autobiographique ?
Non, j’ai bien des présentateurs préférés mais je ne bave pas devant la télé dès le matin (rires). J’aime assez le concept : on les regarde tous les jours en pensant les connaître, mais ce n’est que superficiel. Il y a donc un mix de fictions et d’expériences de la vie, de l’amour, ce qui fait que l’album est très diversifié.

Comment vois-tu ta carrière post-The Gathering ? On te sent vraiment débarrassée de toute contrainte…
C’est sûr, la liberté artistique est importante. Il y a toujours des sujets qui appellent à la réflexion et sur lesquels il est intéressant d’écrire. D’un autre côté, il s’agit de maintenir un équilibre entre travail et vie privée.

Metal Obs’ vient d’interviewer coup sur coup Simone Simons d’Epica et Sharon den Adel de Within Temptation. Comment expliques-tu qu’il y ait autant de chanteuses de talent dans ton pays ? Ça a à voir avec la nourriture, l’eau… ?
C’est vrai qu’on a de bons légumes ici (rires). La terre est fertile et l’eau n’est pas très calcaire. Je ne sais pas trop quoi répondre… Cette vague de groupes rock à chanteuse a bien pris naissance en Hollande et a généré de grands talents. Je suis fière d’en faire partie.

Tu ne trouves pas étrange d’être interviewée par un magazine Metal pour la sortie de ce nouvel album ? Ton public est sans doute le même que par le passé…
J’ai commencé à drainer un nouveau public ici en Hollande, ce qui est fantastique. Je me sens comme une pieuvre avec un tentacule dans chaque scène musicale : rock, metal, alternative, pop. Les gens qui me suivaient ces 10 dernières années sont vraiment intéressés par ce que je fais maintenant. Au-delà même de la musique, ceux qui m’apprécient en tant qu’artiste veulent voir ce dont je suis capable. Ma musique vient du cœur, et le public y trouve son compte.

Toute une génération a grandi au son de ta musique et plus particulièrement de ta voix.
Oui, c’est génial. Le public a grandi en même temps que le groupe, d’ailleurs. Bon, je suis bien consciente d’être l’une des artistes les plus pop du metal (rires). Mais les fans l’ont bien intégré, ils peuvent écouter Slayer et Agua De Annique avec le même plaisir.

C’est ce que j’ai fait ce matin !
Vraiment ? Parfois, tu as besoin de growls, de beaucoup d’énergie, parfois tu as besoin de t’allonger au son d’une musique plus douce. L’être humain est ainsi fait, il a plusieurs facettes. Il se reconnaît donc dans plusieurs types de musiques.

La tienne est plus appropriée pour une écoute en couple, surtout le dimanche matin.
Il est vrai que Slayer ne fait pas dans le romantisme (rires) !

J’ai volontairement écarté la plupart des questions sur ton passé, mais je garde tout de même celle-ci : penses-tu que tes fans de la première heure comprennent ta démarche actuelle ?
Il y a sans doute une frange du public fan des débuts heavy et sombres de The Gathering qui ne m’a pas suivie quand j’ai quitté le groupe. Mais beaucoup de gens ont tout de même sauté le pas, ceux qui recherchent ce qu’on vient d’évoquer, un équilibre entre le heavy et la musique plus cool.

Pour conclure, quand vas-tu jouer, non pas dans ma chambre, mais en France ?
Très bientôt, j’espère. J’étais encore à Paris récemment, j’y ai d’ailleurs rencontré Sharon à la gare. Jouer avec Agua De Annique à Paris a été fantastique. On adore la France : Paris, Lille… On travaille actuellement sur des dates en Europe mais rien n’est encore arrêté.

AGUA DE ANNIQUE - In Your Room
Jamm / Agua Recordings / Season Of Mist



Site : www.aguadeannique.com

Myspace : www.myspace.com/aguadeannique