ACRASSICAUDA

Band of brothers...

« Désolé mec, je suis en retard, je passe ma vie à faire des papiers administratifs ». Marwan est en retard, mais il est zen. Il y a une sorte de paix dans sa voix, un sentiment de tranquillité qui fait plaisir. Il faut dire que tout ceux qui ont regardé le documentaire Heavy Metal In Baghdad, ont été touchés par l’histoire incroyable de ces quatre metalheads Irakiens qui ont formé Acrassicauda en plein chaos.

Interview parue également dans le Metal Obs' 39 d'Avril 2010

Entretien avec Marwan (drums) - Par Yath
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Pour une fois, la musique a vraiment sauvé des vies. La passion de Tony, Faisal, Firas et Marwan les a unis, elle leur a permis d’exorciser leur démons, d’exprimer toute la rage d’une jeunesse irakienne sacrifiée. Pour survivre, ces mecs ont du quitter l’Irak pour d’autres souffrances, moins terribles selon une hypothétique échelle de la galère. Première destination : la Syrie. Deux années de paix, de petits boulots, mais aussi de galère et de faim. Et même cette situation précaire ne pouvait durer, malheureusement « Après 2 ans environ, le gouvernement syrien à tout simplement demandé à tous les réfugiés irakiens de quitter le pays. On devenait trop nombreux et il commençait à y avoir de sérieux problèmes ». Marwan et ses compagnons ont donc dû quitter le seul pays qui avait bien voulu les accueillir, et dans des délais record : « On ne savait pas où aller, et tout le monde s’est finalement rendu compte qu’une seule solution était possible : la Turquie ». L’autre grand voisin de l’Irak a donc accepté d’accueillir les citoyen irakiens, avec une procédure bien définie : « Il nous fallait prendre un VISA de tourisme pour entrer sur le territoire, et à partir de là, on avait 2 mois pour régulariser notre situation. C’était notre seule issue ». Seul souci : le prix de ce VISA : 2000 $ par personne. Il va sans dire que le groupe ne disposait pas de cette somme. Et c’est là que VICE Records a mis en place un système de collecte d’argent en ligne pour aider les membres d’Acrassicauda et leurs familles. « C’était un acte quelque peu désespéré, mais on a collecté plus de 20 000 $ ! Des mecs en Chine, en Russie, aux USA, en Allemagne, de partout dans le monde ont donné pour nous aider !  Ça nous a permis d’avoir ce VISA, n’oublie pas que Firas était accompagné de sa femme et de son fils, ça fait un paquet d’argent ». Direction la Turquie donc, avec pour objectif de trouver un job et régulariser sa situation. Après des mois de difficultés, de vie clandestine (le délai de 2 mois pour régulariser les papiers étant bien trop court) et de peur, le groupe finit par obtenir des papiers. « C’était vraiment merdique. On a passé notre temps à faire ces papiers, on faisait la queue de 7 h du matin à 19 h pour passer au guichet. Tout ça dans le froid, et avec le bébé de Firas… Et il y a aussi toutes les formalités un peu humiliantes ; parce qu’on est irakien, il faut vérifier notre identité, notre passif… ». Mais encore une fois, ces quatre survivants vont s’en sortir. En 2008, Firas et Tony quittent enfin la Turquie pour rejoindre les Etats-Unis. Marwan et Faisal vont les rejoindre, le temps de régler les formalités pour les VISA américains. Toujours ces foutus papiers.

Et les 4 frères sont de nouveau réunis, cette fois aux Etats-Unis, land of the free, home of the brave. Et lorsqu’on demande à Marwan comment il s’adapte à la vie au States, sa réponse est cinglante de pragmatisme : « Comment on s’est adapté à la vie ici ? Comme on s’est adapté en Syrie, et comme on s’est adapté en Turquie. Ça fait quatre ans qu’on n’a pas vu nos familles. Tu sais, je suis le plus jeune dans le groupe, j’ai quitté mon pays à 21 ans, et j’étais déjà profondément imprégné de la culture irakienne. On n’est plus des enfants de 10-12 ans capables de s’adapter en quelques mois, tu sais. Chaque jour, on fait des efforts pour nous fondre dans cette nouvelle vie ».

 ACRASSICAUDA

Mais laissons de côté les galères et penchons-nous sur l’avenir d’Acrassicauda. Le rêve qui pouvait sembler totalement fou il y a quatre ans s’est donc réalisé et le groupe rescapé de l’apocalypse a enregistré un premier 4-titres sous la houlette d’Alex Skolnick (Testament) : « C’était chaud, très dur ! On a eu 3 jours pour enregistrer 4 chansons. Avec Nick (Chinboukas) aux manettes et Alex (Skolnick) pour manager un peu tout le monde. Il avait un rôle moins technique et son regard a plus porté sur la qualité des chansons. Les deux se sont vachement investis, ils nous ont donné le temps nécessaire et on a pu énormément apprendre. Que veux-tu que je te dise ? L’expérience d’un mec comme Alex est inestimable ! Il a une oreille extraordinaire. Il nous a fait recommencer des parties qui nous semblaient tout à fait correctes (rires). Tout ça a été réalisé dans la bonne humeur, du coup, on n’a ressenti aucun stress ». Pas de stress, pas de stress, heureusement quand même que vous vous êtes dépêchés les mecs, vous avez failli laisser tomber la chanson « Garden Of Stones », le meilleur des 4 titres ! « On a vraiment bossé comme des dingues pour pouvoir la caser, celle-là. Franchement, au départ, ça semblait mort, mais tout le monde s’est arraché. Nick éditait les chansons quasiment en direct pendant les prises et on a travaillé tous les jours de midi à 5h du mat ‘ ! Il nous fallait absolument finir dans les temps, et on avait à cœur d’inclure « Garden Of Stones ». C’est le seul regret que j’ai finalement, j’aurais aimé qu’on dispose de davantage de temps. Il faut du temps et de la tranquillité en musique pour bien peaufiner les compos. Mais bon, c’était le premier essai et on est tout de même totalement satisfaits du résultat ».

Ce premier maxi s’intitule Only The Dead See the End Of The War et contient quatre chansons, composées à des périodes différentes. Certaines l’ont été en Turquie, à l’hôtel, alors que le groupe « vivait une période difficile, on avait peur, dans un pays étranger, on ne parlait pas la langue et on n’avait aucune idée de ce que l’avenir nous réservait ». Et il va sans dire que les paroles parlent de Bagdad et de la guerre, car pour le coup, la musique est vraiment une thérapie pour les membres d’Acrassicauda : « C’est clair !  Pour moi en tout cas, la batterie est la meilleure thérapie que je puisse avoir. Je ne joue pas pour frimer, ni même pour admirer ma création ! Je joue parce que j’en ai besoin, c’est vital. Sans musique, je te l’assure : je sombre dans la dépression. J’ai vu des choses horribles, tu n’en sors pas indemne. Mec, j’ai vécu une explosion, les flammes m’ont traversé, j’ai vu la mort, des corps brûlés. Pour de vrai. Les paroles de « Massacre » parlent de cette expérience ». Marwan se met également à évoquer un des drames majeurs de l’Irak, peut-être aussi grave que la violence dans laquelle baigne le pays : la jeunesse. « Tu sais, la jeune génération irakienne est paumée, les jeunes s’ennuient et passent leur temps à traîner, ils n’ont rien à faire, aucune passion, aucun espoir, aucun rêve… C’est effrayant, comment peux-tu vivre comme ça ? ». Mais ce n’est pas vrai qu’en Irak malheureusement, dans certains pays, la situation politico-sociale a littéralement annihilé la jeunesse. Pas d’espoirs, pas d’attentes, pas de passion. Une société de mort-vivants qui ne vit que pour traîner, pour « passer le temps ». « Les mecs passent leur temps à sortir, draguer et traîner dans des cafés. On a fait ça pendant un moment, mais on n’a pas pu continuer ! On s’est donc mis à la musique, ça a redonné un sens à notre vie ».

 ACRASSICAUDA

C’est maintenant sûr : Acrassicauda est investi d’une mission. C’est un cri de souffrance, de rage que voudrait exprimer tout un peuple et que ces quatre héros ont réussi à défendre et à porter à nos oreilles, aux prix d’innombrables efforts et de sacrifices. « Non mec, on n’a pas la prétention  de porter un message de tout un peuple… Tu sais, on essaye juste de s’en sortir, de survivre et notre seul but maintenant est qu’un jour les gens, en écoutant notre musique se disent : C’est excellent ce truc ! Sans même savoir qu’on est Irakiens. Ça, ça serait une sacrée fierté ! ». Les gars, en toute sincérité, c’est tout le mal qu’on vous souhaite. RESPECT, BRAVO et MERCI pour cette leçon d’abnégation et d’humanité.  

ACRASSICAUDA – Only The Dead See The End Of The War
Vice Records


Myspace : www.myspace.com/wwwacrassicaudas5com