Pour
une fois, la musique a vraiment sauvé des vies. La passion de Tony,
Faisal, Firas et Marwan les a unis, elle leur a permis d’exorciser leur
démons, d’exprimer toute la rage d’une jeunesse irakienne
sacrifiée. Pour survivre, ces mecs ont du quitter l’Irak pour
d’autres souffrances, moins terribles selon une hypothétique
échelle de la galère. Première destination : la
Syrie. Deux années de paix, de petits boulots, mais aussi de galère
et de faim. Et même cette situation précaire ne pouvait durer,
malheureusement « Après
2 ans environ, le gouvernement syrien à tout simplement demandé
à tous les réfugiés irakiens de quitter le pays. On devenait
trop nombreux et il commençait à y avoir de sérieux problèmes ».
Marwan et ses compagnons ont donc dû quitter le seul pays qui avait
bien voulu les accueillir, et dans des délais record : « On
ne savait pas où aller, et tout le monde s’est finalement rendu
compte qu’une seule solution était possible : la Turquie ».
L’autre grand voisin de l’Irak a donc accepté d’accueillir
les citoyen irakiens, avec une procédure bien définie :
« Il
nous fallait prendre un VISA de tourisme pour entrer sur le territoire, et
à partir de là, on avait 2 mois pour régulariser notre
situation. C’était notre seule issue ».
Seul souci : le prix de ce VISA : 2000 $ par personne. Il va sans
dire que le groupe ne disposait pas de cette somme. Et c’est là
que VICE Records a mis en place un système de collecte d’argent
en ligne pour aider les membres d’Acrassicauda et leurs familles. « C’était
un acte quelque peu désespéré, mais on a collecté
plus de 20 000 $ ! Des mecs en Chine, en Russie, aux USA, en Allemagne,
de partout dans le monde ont donné pour nous aider ! Ça
nous a permis d’avoir ce VISA, n’oublie pas que Firas était
accompagné de sa femme et de son fils, ça fait un paquet d’argent ».
Direction la Turquie donc, avec pour objectif de trouver un job et régulariser
sa situation. Après des mois de difficultés, de vie clandestine
(le délai de 2 mois pour régulariser les papiers étant
bien trop court) et de peur, le groupe finit par obtenir des papiers. « C’était
vraiment merdique. On a passé notre temps à faire ces papiers,
on faisait la queue de 7 h du matin à 19 h pour passer au guichet.
Tout ça dans le froid, et avec le bébé de Firas…
Et il y a aussi toutes les formalités un peu humiliantes ; parce
qu’on est irakien, il faut vérifier notre identité, notre
passif… ».
Mais encore une fois, ces quatre survivants vont s’en sortir. En 2008,
Firas et Tony quittent enfin la Turquie pour rejoindre les Etats-Unis. Marwan
et Faisal vont les rejoindre, le temps de régler les formalités
pour les VISA américains. Toujours ces foutus papiers.
Et
les 4 frères sont de nouveau réunis, cette fois aux Etats-Unis,
land of the free, home of the brave. Et lorsqu’on demande
à Marwan comment il s’adapte à la vie au States, sa réponse
est cinglante de pragmatisme : « Comment
on s’est adapté à la vie ici ? Comme on s’est
adapté en Syrie, et comme on s’est adapté en Turquie.
Ça fait quatre ans qu’on n’a pas vu nos familles. Tu sais,
je suis le plus jeune dans le groupe, j’ai quitté mon pays à
21 ans, et j’étais déjà profondément imprégné
de la culture irakienne. On n’est plus des enfants de 10-12 ans capables
de s’adapter en quelques mois, tu sais. Chaque jour, on fait des efforts
pour nous fondre dans cette nouvelle vie ».
Mais
laissons de côté les galères et penchons-nous sur l’avenir
d’Acrassicauda. Le rêve qui pouvait sembler totalement fou il
y a quatre ans s’est donc réalisé et le groupe rescapé
de l’apocalypse a enregistré un premier 4-titres sous la houlette
d’Alex Skolnick (Testament) : « C’était
chaud, très dur ! On a eu 3 jours pour enregistrer 4 chansons.
Avec Nick (Chinboukas) aux manettes et Alex (Skolnick) pour manager un peu
tout le monde. Il avait un rôle moins technique et son regard a plus
porté sur la qualité des chansons. Les deux se sont vachement
investis, ils nous ont donné le temps nécessaire et on a pu
énormément apprendre. Que veux-tu que je te dise ? L’expérience
d’un mec comme Alex est inestimable ! Il a une oreille extraordinaire.
Il nous a fait recommencer des parties qui nous semblaient tout à fait
correctes (rires). Tout ça a été réalisé
dans la bonne humeur, du coup, on n’a ressenti aucun stress ».
Pas de stress, pas de stress, heureusement quand même que vous vous
êtes dépêchés les mecs, vous avez failli laisser
tomber la chanson « Garden Of Stones », le meilleur
des 4 titres ! « On
a vraiment bossé comme des dingues pour pouvoir la caser, celle-là.
Franchement, au départ, ça semblait mort, mais tout le monde
s’est arraché. Nick éditait les chansons quasiment en
direct pendant les prises et on a travaillé tous les jours de midi
à 5h du mat ‘ ! Il nous fallait absolument finir dans
les temps, et on avait à cœur d’inclure « Garden
Of Stones ». C’est le seul regret que j’ai finalement,
j’aurais aimé qu’on dispose de davantage de temps. Il faut
du temps et de la tranquillité en musique pour bien peaufiner les compos.
Mais bon, c’était le premier essai et on est tout de même
totalement satisfaits du résultat ».
Ce
premier maxi s’intitule Only The Dead See the End Of The War et contient
quatre chansons, composées à des périodes différentes.
Certaines l’ont été en Turquie, à l’hôtel,
alors que le groupe « vivait
une période difficile, on avait peur, dans un pays étranger,
on ne parlait pas la langue et on n’avait aucune idée de ce que
l’avenir nous réservait ». Et il va sans
dire que les paroles parlent de Bagdad et de la guerre, car pour le coup,
la musique est vraiment une thérapie pour les membres d’Acrassicauda :
« C’est clair !
Pour moi en tout cas, la batterie est la meilleure thérapie
que je puisse avoir. Je ne joue pas pour frimer, ni même pour admirer
ma création ! Je joue parce que j’en ai besoin, c’est
vital. Sans musique, je te l’assure : je sombre dans la dépression.
J’ai vu des choses horribles, tu n’en sors pas indemne. Mec, j’ai
vécu une explosion, les flammes m’ont traversé, j’ai
vu la mort, des corps brûlés. Pour de vrai. Les paroles de « Massacre »
parlent de cette expérience ». Marwan se met également
à évoquer un des drames majeurs de l’Irak, peut-être
aussi grave que la violence dans laquelle baigne le pays : la jeunesse.
« Tu sais, la jeune
génération irakienne est paumée, les jeunes s’ennuient
et passent leur temps à traîner, ils n’ont rien à
faire, aucune passion, aucun espoir, aucun rêve… C’est
effrayant, comment peux-tu vivre comme ça ? ».
Mais ce n’est pas vrai qu’en Irak malheureusement, dans certains
pays, la situation politico-sociale a littéralement annihilé
la jeunesse. Pas d’espoirs, pas d’attentes, pas de passion. Une
société de mort-vivants qui ne vit que pour traîner, pour
« passer le temps ». « Les
mecs passent leur temps à sortir, draguer et traîner dans des
cafés. On a fait ça pendant un moment, mais on n’a pas
pu continuer ! On s’est donc mis à la musique, ça
a redonné un sens à notre vie ».
C’est
maintenant sûr : Acrassicauda est investi d’une mission.
C’est un cri de souffrance, de rage que voudrait exprimer tout un peuple
et que ces quatre héros ont réussi à défendre
et à porter à nos oreilles, aux prix d’innombrables efforts
et de sacrifices. « Non mec,
on n’a pas la prétention de porter
un message de tout un peuple… Tu sais, on essaye juste de s’en
sortir, de survivre et notre seul but maintenant est qu’un jour les
gens, en écoutant notre musique se disent : C’est
excellent ce truc ! Sans
même savoir qu’on est Irakiens. Ça, ça serait une
sacrée fierté ! ». Les gars, en toute sincérité,
c’est tout le mal qu’on vous souhaite. RESPECT, BRAVO et MERCI
pour cette leçon d’abnégation et d’humanité.
ACRASSICAUDA
– Only The Dead See The End Of The War
Vice
Records