DEMIANS



One Man Army...


Mute, le second volet du projet de Nicolas Chapel - démiurge multi-instrumentiste de Demians - fait d’ores et déjà figure d’artefact Rock dans l’écurie Inside Out. L’ex-timide qui s’évadait au travers des livres glanés dans le grenier de son grand-père (Demian de Herman Hesse) est désormais intarissable lorsqu’il s’agit de parler de son art … rarement on avait opéré autant de coupes franches dans une interview pour les sempiternelles raisons de place.

Interview parue également dans le Metal Obs' 41 de Juin / Juillet 2010

Entretien avec Nicolas Chapel (chant, instruments) - Par Jean-Christophe Baugé
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Peux-tu rappeler d’ou vient ce nom, Demians ?
Ça vient d’un livre que j’avais lu quand j’étais tout petit. A l’époque, j’étais très réservé, j’avais beaucoup de mal à sortir de ma coquille. Je ne faisais que lire et écouter de la musique. J’ai trouvé ce bouquin - Demian de Herman Hesse - dans un carton du grenier de mon grand-père. Le nom du groupe ne vient pas du titre du livre lui-même mais de son personnage principal, Max Demian, qui intervient sans juger les autres, sans professer la bonne parole. C’est la façon dont mes chansons apparaissent dans ma tête : elles viennent naturellement, ne me jugent pas, ne m’apprennent pas la vie, ne me donnent pas de leçon de morale. J’essaie de les retranscrire de la manière la plus pure possible sur CD. J’en étais à un stade où je voulais commencer à communiquer avec la musique et à la sortir au plus vite. Je ne voulais pas mettre mon nom dessus parce qu’elle ne parle pas de moi … je ne suis pas quelqu’un d’égocentrique. Je ne voulais pas donner de nom de groupe car ce n’était pas un groupe, mais je voulais donner un nom aux chansons : ce sont mes Demians.

Quel a été le retour - critique et commercial - de Building An Empire ?
Ça a été assez énorme. J’ai fait cet album dans ma chambre, sans label et sans soutien. J’étais persuadé que ça pouvait parler à des gens parce que l’honnêteté se ressent dans la musique. Je m’attendais à ce que ce soit bien accueilli mais ça l’a été au-delà de mes espérances. L’album s’est bien vendu : c’était très encourageant. La seule chose, c’est qu’il s’est passé beaucoup de temps entre le moment où je l’ai écrit et celui où il est sorti : émotionnellement et musicalement, je me sentais très loin du disque à sa sortie. Building an Empire a été composé majoritairement en 2002, enregistré en 2006 et mis sur le marché en 2008. J’ai eu énormément de temps pour m’en éloigner … sans le renier. Ce nouvel album, mute, a été terminé il y a un peu plus de trois semaines. Quand il va sortir, il aura moins de deux mois. C’est un album qui me représente, je vais pouvoir l’assumer totalement.

Steve Wilson de Porcupine Tree a dit le plus grand bien de ta musique. Tu n’as pas essayé de travailler avec lui pour Mute ?
Non, et ce pour plusieurs raisons. Je n’essaie pas de travailler avec des gens. Avoir un producteur ou des musiciens additionnels dans le groupe, c’est un peu comme si on venait chez moi m’expliquer comment je dois faire l’amour à ma petite amie. Je respecte son travail, il est là depuis des années. On assimile tout le temps Steve Wilson à Porcupine Tree et je ne suis pas un grand fan de leur musique. Mais c’est quelqu’un qui est là depuis plus de 20 ans, qui fait ce qu’il a envie de faire, qui n’a jamais vraiment suivi les modes et qui a sa façon de travailler. On lui a souvent demandé pourquoi il ne travaillait pas avec tel ou tel producteur. Il est le premier à dire que c’est sa musique et qu’il la mixe comme il l’entend, ce n’est pas vraiment discutable. Je sais que le son de Steve Wilson convient parfaitement à la musique de PT et à ses autres projets. Moi, ce n’est absolument pas ce que je recherche, je travaille le son directement à la prise. Steve aime travailler en peaufinant chaque détail, parfois un peu trop à mon goût. Ce n’est pas ce qui m’intéresse.

Comment situerais-tu ce nouvel album par rapport au précédent ?
Ma musique me représente toujours au moment où je la travaille. Ce n’est pas quelque chose que je force. J’arrive plus à ressentir les influences d’un événement de ma vie, d’une conversation ou d’une rencontre plutôt que celle d’un quelconque artiste. Pour le premier album, j’étais quelqu’un de timide qui faisait quelque chose dans sa chambre sans savoir à quoi s’attendre. Le nouvel album est celui de quelqu’un qui s’affirme, qui est décidé à partir dans de nombreuses directions. Le son du premier album était fait avec ce que j’avais : une guitare et un micro. Pour le nouveau, je voulais le même son que celui qui sort des instruments dans la pièce. Niveau production, j’ai vraiment trouvé mon caractère sur cet album, et niveau inspiration, j’ai vraiment eu envie de me lâcher. Sur la plupart des morceaux, le chant a été enregistré en une prise. Je n’ai pas essayé de peaufiner, je n’ai pas essayé de rendre les choses moins humaines qu’elles ne le sont. J’ai voulu garder l’ambiance qu’il y avait dans la pièce, le son tel qu’il était à la base. Tout est réuni pour faire un album différent mais on reconnaît clairement ma patte.

Que représente la pochette ?
C’est une image qui a été créée à partir de deux autres. Il y a beaucoup de chansons de l’album qui tournent autour du thème de la communication : la façon de s’exprimer, notre vision de la réalité et la façon qu’on a de la partager. La pochette, c’est simplement une antenne créée à partir d’une lampe de puissance d’ampli et une antenne radio avec les ondes. Sur l’édition limitée de l’album qui sort fin juin, tout est en découpe : quand tu retires le livret, tu vois la lampe au travers. Par rapport au premier album qui était très imagé (le petit personnage sur ses chaises), je voulais plus exprimer une ambiance. Je ne voulais pas que les gens sachent ce qu’ils avaient sous les yeux. J’ai pris l’image d’un circuit électronique, de la chaîne de diffusion radiophonique avec la lampe qui transmet l’impulsion électrique, qui l’amplifie et l’antenne qui le diffuse, car pour moi la musique est vraiment un échange. Cet album-là, ce n’est pas simplement moi qui m’exprime et les gens qui m’écoutent. Il y aura de l’interaction : on va partir en tournée, tout le monde va m’apprendre quelque chose. Ma musique est diffusée et j’ai beaucoup de retours de gens qui me disent ce que ça leur apporte.

De combien d’instruments sais-tu jouer ? Tu es autodidacte ?
Je suis complètement autodidacte, aussi bien pour la musique que pour la prise de son ou la production. En fait, je n’aime pas savoir. C’est comme quand je regarde un film : à la fin, je déteste qu’on me donne la solution clé en main. Je préfère nager dans mes pensées toute la journée parce qu’un film m’aura laissé rêveur. Je ne sais absolument pas de combien d’instruments je joue … j’ai surtout un niveau tellement différent d’un instrument à l’autre. Je joue du piano comme un gamin de 10 ans jouerait à sa Game Boy. Je ne sais absolument pas ce qui va en sortir, et c’est ça que j’adore. C’est pour ça que je travaille tout seul. Ne pas savoir ce qui va se passer, ça me passionne. Mon batteur me le dit souvent quand il doit apprendre les parties de batterie à jouer sur scène : ce sont des choses qu’il n’aurait pas créées parce qu’il a un bagage en théorie musicale que je n’ai pas. Je n’ai aucun complexe là-dessus. Je vais dans des directions que lui ne prendrait pas forcément.

Tu t’occupes aussi de la prise de son : comment t’y prends-tu pour la batterie et les instruments à cordes ?
J’ai des micros pour chaque élément et des micros dans la pièce. Ces dernières années, j’ai amassé pas mal de matériel vintage : des préamplis de la RCA que j’ai trouvés aux USA qui ressemblent à des bombes désamorcées de la guerre de 14. Ça n’intéressait personne, j’ai chopé ça pour une misère et le son est très naturel : c’est la raclée ! J’ai les mêmes micros à ruban que ceux qu’on utilisait dans les radios il y a un siècle. Je voulais vraiment avoir une ambiance naturelle. La batterie sonnait comme ça dans la pièce … j’ai enregistré beaucoup de sons d’ambiance.

Tu as eu recours à des samples cette fois-ci ?
J’ai eu recours à des samples pour un ou deux passages, mais uniquement au mixage, parce que j’avais fait une prise à un moment sur un titre et j’avais besoin d’éloigner le son. C’est juste une astuce de production sur un titre ou deux. Mais le piano et la guitare ont été enregistrés dans la pièce.

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Tu cites volontiers Tori Amos ou Radiohead parmi tes influences … et dans le domaine du Metal ?
J’ai toujours du mal à séparer les styles de musique. Pour moi, Tori Amos fait parfois sonner son piano d’une façon plus heavy que beaucoup de groupes de Metal. Je suis un fan transi de Neurosis, c’est vraiment un groupe qui me marque depuis plus de 10 ans. Ils enregistrent leur musique d’une manière naturelle et m’influencent musicalement, je ne m’en lasse pas. Ils m’intéressent dans leur démarche artistique qui est de ne jamais baisser les bras, d’être dédié à son projet … ce sont des monstres. J’adore aussi Cult Of Luna, j’aime beaucoup leur évolution ces dernières années. J’ai commencé à écouter du Metal tout petit. J’ai acheté And Justice For All quand il est sorti, j’avais 8 ou 9 ans. Celui-ci et Master Of Puppets sont vraiment des albums qui m’ont parlé quand j’étais gamin et que je commençais la guitare. J’aime beaucoup Isis, Torche … leur dernier album est celui que j’ai le plus écouté l’année dernière. Il y a aussi un fan kit de One Day As A Lion - avec le chanteur de RATM, Zack de la Rocha, et l’ancien batteur des Mars Volta, Jon Theodor - qui est sorti l’an dernier. Ils sont tous les deux, juste chant et batterie, plus un clavier Rhodes : c’est court (5 titres) mais c’est vraiment un disque qui m’a intéressé. J’ai toujours été un fan de RATM, Soudgarden … beaucoup de groupes qui peuvent être affiliés à la scène Metal mais qui ont toujours sonné de manière organique. Je ne suis vraiment pas fan de tout ce qui est triggé, ou quand on enregistre les guitares 8 fois. Tu ne sais plus vraiment quel groupe tu écoutes à la fin. Voilà, s’il fallait n’en retenir qu’un, ce serait Neurosis.

En parlant de Soundgarden, il y a quelques relent de Chris Cornell sur « Rainbow Ruse »…
Ah, c’est vraiment très gentil. J’adore les groupes que je ne peux pas mettre dans une catégorie : Tool, Soundgarden, Neurosis. Il y a des relents de Metal mais ce n’est pas vraiment l’esthétique. Les Soundgarden utilisent des opens à la guitare qui donnent des couleurs un peu orientales, des instruments sortis de leur contexte habituel. J’écoute aussi énormément de musique électronique : Apparat, Thom Yorke, ou même de la musique comme Cigur Rós ou de l’ambiant / expérimental, oriental : Nusrat Fateh Ali Khan. Tu prends  Superunknown ou Down On The Upside et tu ne sais pas forcément reconnaître les influences, c’est une musique très riche et très colorée … c’est quelque chose que j’adore.

« Overhead » est un morceau qui accroche bien. C’est un hommage à certains groupes des 70’s comme Led Zep qui utilisaient des violons dans l’esprit world ?
Pas vraiment. Pour moi, on a toujours eu une version de la musique orientale édulcorée en occident, comme si c’était de la musique occidentale orientalisée. Les arrangements de cordes sur « Overhead » sont une couleur orientale au même titre que la rythmique du morceau. Il y a des temps en plus ou en moins, des mesures bancales : c’est quelque chose qu’on retrouve énormément dans la musique orientale. J’ai passé quasiment une semaine entière sur ce titre rien que pour les orchestrations. Il y en a très peu sur l’album, mais elles sont très travaillées. J’ai utilisé des instruments indiens : la dilruba (entre le violoncelle et le sitar), jouée à l’archet,  et le sarangi. J’avais envie de découvrir des instruments et d’en jouer à ma manière. J’ai tout enregistré : contrebasse, violoncelle, alto et violon.

Quels sont tes titres préférés de l’album et de quoi parlent-ils ?
J’ai du mal à la détacher de « Rainbow Ruse », mais je pencherais pour « Hesitation Waltz », l’avant-dernière chanson. C’est l’une des premières composées pour l’album et elle a une grosse valeur sentimentale. Le thème est lié aux raisons pour lesquelles j’ai choisi de continuer à faire mon projet. Après la sortie du premier album, j’ai rencontré énormément de problèmes pour trouver des musiciens, les garder, et ne pas rentrer en conflit perpétuel avec toute la planète. Quand tu fais quelque chose tout seul et que tu n’as pas besoin des gens, au bout d’un moment, plutôt que de t’aider, ceux-ci essaient de se rendre indispensables. Ils te mettent alors des bâtons dans les roues et te font perdre ton temps, ta motivation et ton argent. J’en étais arrivé à me dire que je ferai un album quand je voudrai, sans jamais plus rentrer dans ce schéma. Ce morceau symbolise le bruit qui a commencé à se créer dans ma tête à cette époque. Je suppose que c’est quelque chose que les gens vivent à un moment ou à un autre quand ils sont passionnés, qu’ils ont envie d’avancer mais qu’ils se retrouvent à stagner. C’est aussi le premier titre de Demians sur lequel quelqu’un est venu jouer. Sur deux morceaux de l’album, mon batteur live se livre à un duo de batterie avec moi. Sur « Swing Of The Airwaves », la première de l’album, on joue la même partie de batterie tous les deux en même temps. Sur « Hesitation Waltz », à la fin, on a créé cette espèce de mur de batterie où on a superposé des couches. C’est une belle expérience de lui avoir demandé de me rejoindre et de suivre mes idées … il a amené son propre feeling. Ça s’est vraiment bien passé, c’est quelqu’un avec qui je m’entends bien. Il a sauvé mon envie de faire du live et jouer en groupe : jusqu’à ce qu’il arrive, je n’avais eu que des problèmes. Il m’a prouvé que si je m’en tenais à mes engagements et mon idée première, il me soutiendrait. C’est très important pour moi.

Antoine Pohu (basse) et Gaël Hallier (batterie) ont-ils les mains libres pour jouer tes compos sur scène ?
Ce n’est ni de l’exécution comme chez Frank Zappa avec des musiciens qui lisent des partitions, ni de l’apport d’idées par-ci par-là. Rien que leur feeling sur une partie de basse ou de batterie qu’ils n’ont pas composée fait évoluer la chanson dans une autre direction. C’est une musique qui est très écrite, surtout celle du premier album, avec le coup de grosse caisse à tel endroit, pour souligner tel accent sur le chant, etc. Ce sont des musiciens qui écoutent la musique, et savent en extraire une émotion pour la retranscrire sur leur instrument : ils ne se livrent pas à une interprétation bête et méchante. Même si elle peut paraître simple à l’écoute, cette musique est très riche et complexe à interpréter. Je me suis souvent heurté à des problèmes d’égos : quand il fallait faire passer un certain cap à la musique, il n’y avait plus personne. Ces deux-là se sont mis au service des chansons, et c’est tout ce que je demande. On s’entend très bien humainement et musicalement. Comme le dit mon bassiste, on ne demande pas aux acteurs d’écrire le scénario du film dans lequel ils jouent : il n’est pas exécutant mais bassiste de Demians en live.

Tu prévois de te produire en live prochainement ?
Je vais faire beaucoup de promotion pour l’album car ma musique qui mérite d’être diffusée en dehors des sphères Rock et Metal. J’ai envie de toucher le maximum de gens possible. On se réunit cet été avec le groupe pour partir en tournée cet automne.

Vis-tu de la musique ?
Je vis de la musique, mais pas forcément entièrement de la mienne. Je suis resté totalement indépendant : j’enregistre quand je veux et je produis les chansons comme je le veux. Le label me fait entièrement confiance, il sort mes disques et en fait la promotion. Produire un disque peut coûter très cher et tu ne touches pas forcément de bénéfice immédiatement : il faut savoir se montrer patient et motivé. A côté de ça, je fais beaucoup d’enregistrements pour des radios et de la prise de son pour des groupes locaux. En janvier, j’ai passé énormément de temps à enregistrer des orchestres à cordes à l’étranger.

Que penses-tu des autres artistes chez Inside Out (Pain Of Salvation, Shadow Gallery, Transatlantic …) ?
Pour être honnête, je ne suis pas fan. Ça surprend souvent les gens, mais je n’ai jamais été attiré par le Rock progressif. Comme pour les films, je n’aime pas trop qu’on me serve la fin sur un plateau. Pour beaucoup de ces groupes, tu retrouves le livret avec les paroles et l’illustration qui explique la chanson, le concept-album avec son début et sa fin … la musique est très orientée et ne laisse pas respirer ton imagination. J’ai surtout signé avec Inside Out pour la personne de chez eux qui a su m’écouter, mais le label en lui-même n’a pas d’importance. Par contre, j’aime bien Kevin Moore et son projet Chroma Key, ainsi que Devin Townsend que j’ai rencontré plusieurs fois, surtout pour ses anciens albums comme Ocean Machine ou ceux avec Strapping Young Lad.


DEMIANS - Mute
Inside Out / EMI



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