Napalm Death


Protestation Utile…
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Après trente ans de carrière, les leaders et inventeurs du Grindcore reviennent avec une grenade dégoupillée sous le nom d’Utilitarian. Toujours aussi avenant, courtois et investi, Barney nous livre un entretien vérité, comme d’habitude, dans lequel il fait part des engagements qui l’animent.

Interview également parue dans le Metal Obs' 52 de mars / avril 2012

Entretien avec Mark « Barney » Greenway par Noémy Langlais – Photo : Cindy Frey
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Votre quatorzième album, Utilitarian, vient de sortir. À quoi attribues-tu la longévité de Napalm Death et votre capacité de continuer à jouer à ce niveau-là ?
Je crois que ça vient tout simplement de notre enthousiasme. Si nous n’en avions plus, ça nous rendrait malade de devoir parler de nos albums et de les jouer. Une chose que j’ai toujours dite, c’est que si tu ne t’intéresses pas à ce que tu dis, comment peux-tu continuer de la sorte ? Tu ne peux pas faire quelque chose si tu ne t’investis qu’à 50%. Bien sûr, je fais d’autres choses à côté mais lorsque je m’occupe de Napalm, je suis dedans à 100%. C’est la même chose, lorsque tu vois des groupes sur scène qui ont l’air fatigué et ne transmette aucune émotion. Je n’ai pas envie de faire les choses de cette manière.

Le titre de votre album est plutôt intéressant. Utilitarian vient du mot “utilitarisme” qui est une théorie éthique. Quelle histoire se cache derrière celui-ci ?
Il me semble que c’est la traduction directe du mot en français. L’utilitarisme, c’est une théorie philosophique selon laquelle une bonne action entraîne naturellement une bonne conséquence. L’exercice de cet album n’était pas de parler directement de cette théorie philosophique, mais de s’en inspirer comme un concept, un guide tout au long de l’album. Moi en tant que personne, et je sais qu’il existe des gens qui pensent pareil, je vis ma vie comme je l’entends, je laisse aller les choses. Et dans un sens, c’est contradictoire car avant de faire quoique ce soit, je réfléchis toujours à quelles seront les conséquences de mes actions. Parfois, je me demande pourquoi je ne suis pas comme ceux qui ne se soucient jamais de rien. Pour ma part, je me demande toujours si je fais bien les choses et si ça fait une différence. Par exemple, quand je veux acheter quelque chose comme un vêtement, je me pose des questions sur l’enseigne. Comment fonctionne-t-elle ? Est-ce qu’elle utilise des ateliers clandestins ? Est-ce que le choix que je fais fera une quelconque différence par rapport à la façon dont les gens sont traités ? Bien sûr que oui. Car si tu ne le fais pas, si tu ne protestes pas, si tu ne boycottes pas, tu leur donnes encore plus de pouvoir et tu perds en quelque sorte ta liberté. Je suis humain et comme tout le monde je doute, je m’auto-analyse et je me pose beaucoup de questions.

Et en même temps à force de tout analyser, ne perds-tu pas le pouvoir de la spontanéité de tes actions ?
C’est bien là où réside la contradiction ! Je suis quelqu’un de très spontané mais je me pose des questions, et en quelque sorte, je ne me laisse pas vraiment porter par les choses. Mais tu dois prendre des décisions d’une façon éthique. Tu es obligé de réfléchir à chacune de tes actions et de te dire « qu’est ce que je suis en train de faire ? Est-ce une bonne chose ? ». Voici un point important. La contradiction a toujours été un interdit. Mais en fait, il ne faut pas le percevoir comme cela. La contradiction fait partie de la vie. Tu dois te permettre d’essayer plusieurs trajectoires car si tu veux arriver à un point précis, tu ne peux pas forcément prendre qu’une seule direction. Il n’y a rien de mal dans cela. Par contre, effectivement, si tu passes ton temps à te contredire parce que tu ne sais pas vraiment ce que tu veux, tu n’apprécieras jamais la vie.

Napalm Death

Comme toujours dès l’écoute des premiers titres d’Utilitarian, on sait instantanément qu’on a affaire à du Napalm Death, mais en même temps vous n’avez pas deux albums qui sonnent totalement pareil…
… Je le pense aussi ! Après, lorsqu’on compose, on ne se dit jamais : « il faut que notre album sonne différemment ». Le temps qui se passe entre deux albums est un changement naturel. Je ne sais pas pourquoi les choses arrivent. Peut-être que la seule chose que j’avais à l’esprit lors de la création de cet album, c’est que je souhaitais que certaines influences qui existent depuis toujours dans notre musique comme Swans, Joy Division, Birthday Party ou The Jesus And Mary Chain ressortent plus. Bien sûr, notre musique est rapide et chaotique alors tu ne peux pas forcément faire cette connexion, mais je peux t’assurer que vocalement il y a des choses que ces chanteurs font qui peuvent fonctionner pour Napalm Death. Pour leur époque, si tu les remets dans leur contexte, ils faisaient des trucs assez extrêmes. J’ai essayé de développer mon style vocal en ayant ça à l’esprit. Tu peux trouver dans mon chant de la mélodie, mais pas dans le sens traditionnel de la pop, mais plutôt de la mélodie dépressive. C’est assez dur à expliquer en fait (rires).

Certains de vos titres offrent des éléments novateurs, comme le chant clair que l’on peut entendre sur « The Wolf I Feed ». Qui est responsable de ce titre ?
Pour « The Wolf I Feed », c’est notre guitariste Mitch qui chante. Ce qui s’est passé avec ce morceau est assez intéressant. En fait, parfois, mes musiciens écrivent des paroles et Mitch a écrit celles-ci. Mais je suis toujours en train de me plaindre en leur disant que s’ils écrivent des paroles, il faut aussi qu’ils fassent les arrangements, et qu’ils essayent de me donner une piste vocale de ce qu’ils aimeraient que ça donne. Il a commencé à chanter en studio pour me montrer ce qu'il attendait de moi. J’ai trouvé le résultat tellement bien que je lui ai proposé de garder son chant et moi, je n'interviens qu'à certains moments.

Napalm Death

Tout le monde connaît ton engagement dans la politique, mais  peu savent que tu es végétarien. Quand et pourquoi as-tu décidé de devenir végétarien ?
J’étais très jeune puisque je suis devenu végétarien à l’âge de quatorze ans. Ça fait donc vingt-neuf ans cette année, ce qui est l’équivalent de deux tiers de ma vie. J’ai étudié dans une école anglaise très libérale qui avait suffisamment de conscience pour nous montrer une vidéo d’un abattoir. Bien sûr, nous n’avons pas vu le processus dans son intégralité, mais ce que j’y ai vu m’a suffisamment choqué pour qu’à partir de ce moment je ne puisse plus me résoudre à manger de la viande. Je suis devenu végétarien du jour au lendemain et depuis je n’ai jamais rebroussé chemin. Je n’utilise pas les animaux, sous quelque forme que ça soit, je ne porte pas de vêtements en cuir, je n’utilise pas de produits cosmétiques testés sur les animaux, ou produits à partir d’animaux. L’Angleterre est reconnue pour être l’un des pays précurseurs en matière de végétarisme, mais à cette époque-là, ce n’était pas très courant. Je crois qu’une partie de ton humanité réside dans la façon dont tu traites les animaux. Je crois qu’ils peuvent communiquer, d’une façon primaire certes, et qu’ils ressentent également des choses, nous ne pouvons de ce fait abuser d’eux.

Le milieu du rock est plus connu pour ses excès en tout genre. Comment arrives-tu à t’imposer cette discipline au milieu de toutes ces tentations ?
C’est une discipline et en même temps ça n’en est pas une puisque c’est devenu naturel pour moi. Un peu comme me réveiller le matin ! Ceci dit, je n’ai jamais ressenti le besoin de faire partie du cirque rock n’ roll. Je n’ai jamais souhaité être différent de quelqu’un d’autre. Bien sûr, la vie fait en sorte que les caractéristiques de chacun se développent, et bien sûr, être dans un groupe intéresse toujours les gens. Mais ce qui est faux, c’est que ce n’est pas parce que tu fais partie d’un groupe que tu dois fonctionner d’une certaine façon. Tu peux être la personne que tu souhaites être. Je suis juste moi, et je n’en ai rien à foutre d’être considéré comme un Métalleux ou un Punk. Je me sens à l’aise comme ça et je n’ai pas besoin de me cataloguer.
 


NAPALM DEATH – Utilitarian
Century Media / EMI


Site : www.napalmdeath.org

Myspace : www.myspace.com/napalmdeath